privilèges, (suite)
Le système fiscal offre des illustrations - devenues classiques - de la situation créée par les privilèges. Ainsi, en Anjou, si les roturiers des campagnes sont astreints à payer la taille, les habitants d'Angers (comme beaucoup d'autres citadins) en sont exemptés, ...à l'exception d'une paroisse de la ville ! Pour la gabelle, le contraste entre la situation du paysan du Maine, astreint au taux le plus élevé, et celle de son voisin de Bretagne, qui habite une province exempte, est saisissant : au XVIIIe siècle, le premier paie son sel vingt-cinq fois plus cher que le second ! Cet exemple montre que les privilèges ne concernent pas exclusivement le clergé et la noblesse, mais l'ensemble de la société. D'autres secteurs en témoigneraient tout autant, du domaine religieux (le catholicisme est religion d'État, mais les protestant disposent, de 1598 à 1685 du moins, de privilèges propres) aux pratiques successorales, très différentes d'une coutume à l'autre.
La justification d'un système.
• Les privilèges sont conçus, selon les théoriciens d'alors, pour permettre à chacun l'exercice de son activité dans de bonnes conditions. Contribuant au fonctionnement harmonieux de la société tout entière, ils sont donc d'utilité publique. Ainsi, les nobles sont exempts d'impôt parce qu'ils versent sur les champs de bataille l'« impôt du sang ». De même, la reconnaissance des privilèges d'une province permet son intégration en douceur dans le royaume. Mais les privilèges servent également les intérêts financiers de la monarchie. Endettée en permanence, celle-ci doit recourir régulièrement au crédit de corps riches (provinces, villes, clergé, officiers royaux), qui mobilisent des fonds parce qu'ils inspirent confiance. Or, cette confiance repose avant tout sur la solidité de leurs privilèges, que la monarchie se doit alors de garantir pour s'assurer des moyens financiers. État et privilèges s'épaulent donc. Cette situation n'empêche pas la monarchie de revenir, ponctuellement, sur certains d'entre eux : c'est le cas lors de la révocation de l'édit de Nantes, ou lorsque l'établissement de nouveaux impôts est décidé. Néanmoins, l'existence même des privilèges fonde les relations entre État et société jusqu'en 1789.
Une abolition irréversible.
• Leur remise en cause - thème très débattu tout au long du XVIIIe siècle - se produit dès le début de la Révolution. Dans l'enthousiasme de la nuit du 4 Août, une abolition générale est décidée. Les décrets, âprement négociés dans les jours qui suivent, sont plus restrictifs, mais le processus est irréversible. Il débouche sur le préambule de la Constitution de septembre 1791 : « Il n'y a plus, pour aucune partie de la Nation, ni pour aucun individu, aucun privilège ni exception au droit commun de tous les Français. » Le caractère révolutionnaire du changement est indéniable, même si subsistent alors des limites sérieuses à l'égalité civile (maintien de l'esclavage) ou politique (distinction entre citoyens actifs et citoyens passifs). Il est également définitif, pleinement confirmé par le Code civil, quelques années plus tard.