D'origine indienne (en sanskrit çarkâra), le mot a été transmis par le double intermédiaire de la civilisation arabe (sukkar) et de l'Italie (zucchero).
On le trouve, pour la première fois, au XIIe siècle, sous la plume de Chrétien de Troyes. L'apparition tardive de ses dérivés traduit la rareté du produit : « sucrer » ne date que du XVe siècle, « sucrier » apparaît en 1555, « sucrerie » entre en usage à partir de 1658. L'essor de la production et de la consommation de sucre est lié à la naissance de l'économie-monde et à l'urbanité.
Le miel : le sucre avant le sucre.
• Jusqu'au Xe siècle, le sucre est connu par sa présence dans le lait, les agrumes et les fruits. Mais le miel est le seul produit qui contient une forte valeur de glucose et de lactose. L'apiculture et la récolte du miel sauvage sont en usage depuis l'Antiquité et, malgré une production limitée et dispersée, les ruraux n'ont jamais manqué de miel. Ils en consomment dans les médicaments, les fruits confits et les boissons, l'hydromel notamment (breuvage constitué d'eau et de miel fermenté durant plusieurs jours, auquel on mêle du vin ou des liqueurs). Dans sa Physiologie du goût (1825), Brillat-Savarin ironise sur le sucre qui est entré dans le monde par l'officine des apothicaires : ce préjugé résulte de l'opposition entre le miel, produit naturel, et le sucre, soumis à une transformation industrielle. La production du miel perdure en dépit de l'essor de la production de sucre colonial.
De la canne à la betterave : le sucre industriel.
• Originaire de la côte du Bengale, la canne à sucre se répand d'abord dans tout le Bassin méditerranéen. Puis, à la fin du XVe siècle, le déclin du commerce levantin et sa découverte des Amériques déplacent sa production outre-Atlantique, notamment au Brésil. Les Portugais et les Hollandais dominent alors le marché ; après 1670 leur succèdent les Français et les Anglais. En Guadeloupe, en Martinique et à Saint-Domingue, Colbert réserve le monopole antillais aux sujets de Sa Majesté. Le trafic d'esclaves doit être dirigé vers les exploitations sucrières, mais les raffineries sont localisées dans la métropole car il est plus sûr de transporter du sucre brut que raffiné. En 1735, quinze raffineries sont établies à Bordeaux et, en 1789, la France, première exportatrice d'Europe, produit 140 000 tonnes de sucre. Cette production repose sur de vastes exploitations et une importante main-d'œuvre. Elle est fondée sur le système de l'esclavage et l'afflux des capitaux des négociants. Des moulins transforment la plante par une série de presses, de cuissons et de lavages. La moscouade, sucre brut, est extraite de la canne écrasée ; elle est bouillie, puis coulée dans des pots de terre et mélangée à une terre blanche. Il en résulte le sucre terré, ou cassonnade, qui fait l'objet d'un raffinage final.
En 1747, le chimiste prussien Marggraf invente un procédé à base de betterave à sucre, qui est repris en France par Delessert (1811), afin de pallier les effets du Blocus continental, mais les résultats sont peu concluants. C'est sous le Second Empire que les grands céréaliers du Bassin parisien assurent le succès du sucre de betterave, bien que son coût reste supérieur à celui du sucre des îles ; au début du XXe siècle, la production du premier dépasse, de manière éphémère, celle de son concurrent.