paysannerie (suite)
Pour autant, les propriétaires ne montraient guère de bienveillance à l'égard de leurs fermiers. D'une part, le montant de la redevance faisait en principe l'objet d'adjudications publiques au plus offrant, ce qui élevait au maximum les engagements entre fermiers concurrents. Un difficile équilibre était établi entre les exigences, contradictoires, du propriétaire et du fermier. Dans les périodes de baisse des prix agricoles, les bailleurs étaient excessivement sévères : entre 1650 et 1730, ils maintinrent trop haut leurs loyers, acculant de nombreux fermiers à la faillite dans tout le royaume. Ce naufrage des fermiers, constaté du Languedoc à la Normandie, constitue l'un des aspects de la « crise » du XVIIe siècle. D'autre part, le régime de culture et l'entretien du domaine faisaient l'objet de clauses contraignantes qui pérennisaient les traditions : interdiction de dessoler ou de dessaisonner (et de rompre l'ordre des cultures), interdiction d'échanger des parcelles ou de sous-louer (sans l'agrément du bailleur), obligation d'assurer des services de charrois qui mobilisaient les attelages plusieurs jours dans l'année, obligation de convertir sur place les pailles en fumier sans pouvoir en vendre, etc. Ces précautions, qui se précisent du XVIe au XVIIIe siècle, soulignent que pour les propriétaires il ne s'agissait pas de favoriser un quelconque progrès agricole, mais de préserver leur capital et la possibilité de changer de locataire à chaque fin de bail. Cependant, la répétition des clauses suggère aussi que, dans les faits, de nombreux fermiers prirent leurs distances avec leurs propriétaires, en particulier entre 1750 et 1789, lorsque la hausse des prix agricoles avantageait les producteurs.
...et métayers
À la différence du fermage, le métayage répondait à un partage de la récolte quelle qu'en fût l'importance. Il représentait donc un bail à portion de fruits. Ce partage, qui dans le Centre portait le nom de « grangeage », pouvait être à mi-fruits (ad medietatem en latin, d'où le terme « métayage ») : une contrainte lourde en cas de mauvaise de récolte, mais qui ne compromettait pas la survie de l'exploitation, d'autant que le bailleur fournissait souvent la moitié des semences. Ce régime était beaucoup plus contraignant pour le propriétaire, qui devait surveiller de près la marche de l'exploitation pour ne pas se faire léser. Il autorisait, en revanche, un profit directement indexé sur la production agricole, à la différence du fermage. Sa part, réglée sur l'aire de battage, n'était pas toujours de la moitié ; souvent, elle n'était que d'un tiers. Mais, presque toujours, le bailleur participait aussi aux avances culturales : entretien d'une partie des ouvriers (moissonneurs, batteurs), fourniture d'une partie du bétail et d'une partie des semences.
Car le métayage s'appliquait à des locataires dépourvus de grands moyens. Les métayers possédaient bien une tradition et une compétence technique ; ils détenaient le matériel agricole et une partie des animaux. Mais ils disposaient rarement de l'ensemble de leur capital d'exploitation : bœufs et moutons leur étaient loués par le propriétaire avec partage de la moitié du croît (laines, toisons et agneaux pour les ovins ; veaux et laitages pour les bovins). Il s'agissait alors de baux à cheptel (bail à chapt, à précaire, en commende, etc.). Attestée en Bourgogne depuis le XIe siècle et en Forez depuis le XIIe, la pratique du bail à cheptel était universelle. Elle constituait un excellent placement pour les rentiers de la ville, qui faisaient porter l'entretien de la souche et les pertes animales sur le locataire et recevaient la moitié du croît (d'où un rendement, variable, de 20 à 30 %). Dans la plupart des régions, les paysans prenaient à cheptel les animaux complémentaires dont ils avaient besoin pour la culture des terres. En pays de métayage, ces besoins étaient importants. Et il était fréquent qu'un contrat de métayage intégrât un bail à cheptel. Aussi, l'origine de ce système est-elle très ancienne. Le polyptyque d'Irminon indique, dès le IXe siècle, la présence de métayers dans certains domaines que l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés faisait exploiter dans le Perche et, passé l'an mil, ils sont attestés dans plusieurs régions de l'Ouest (Vendômois, Anjou, Normandie). Tout au long de l'époque moderne, les métayers semblent s'être appauvris. Pour régler leurs dettes, ils vendaient leur cheptel ... pour ne le récupérer qu'à titre de bail. Au XVIIIe siècle, dans les campagnes toulousaines, en Auvergne, de même que dans la Gâtine poitevine, c'étaient de pauvres hères, à la merci du propriétaire ou, de plus en plus souvent, d'un intermédiaire - gestionnaire peu scrupuleux qui louait un ensemble de métairies à un grand propriétaire pour les sous-louer ensuite aux métayers (fermiers généraux ou « sur-fermiers » dans le Bourbonnais ou dans le Maine).
Le métayage imposait au locataire des charges beaucoup plus lourdes que le fermage : en particulier, le métayer n'était pas libre de disposer de son bétail, et était assujetti à des charrois importants. Toute sa production était passée au peigne fin avant qu'il puisse disposer de sa part. En fait, le régime du métayage, répandu dans le centre et l'ouest du royaume, correspondait aux régions à faibles capitaux. Dans les régions plus riches, comme la Normandie, le métayage fit place au fermage au cours du XVIe siècle. Dans les régions plus pauvres, le métayage se généralisa et les conditions s'en aggravèrent : la famille de Jacquou le Croquant souligne la détresse des métayers du Périgord, en cours de prolétarisation, au début du XIXe siècle.
De quelques statuts particuliers
Certains paysans exploitaient le sol à d'autres titres que le fermage ou le métayage. Dans la variété des cas particuliers se détache la figure du domanier breton. Le domaine congéable offrait aux paysans de basse Bretagne, depuis le XIVe siècle au moins, une concession de longue durée par laquelle il obtenait, moyennant redevance, la jouissance d'un fonds et le droit d'y faire certaines améliorations. Certes, le bailleur gardait la faculté de congédier son domanier, après un terme fixé, mais il devait lui rembourser la valeur des travaux. En outre, s'il y avait déjà, sur le fonds, des édifices (bâtiments) ou superfices (plantations, clôtures), ils appartenaient au preneur, le propriétaire n'étant maître que du sol. Le domaine congéable fut développé dans des campagnes dévastées, comme ce fut le cas, de nouveau, au XVe siècle, au lendemain de la guerre de la Succession de Bretagne et de la guerre de Cent Ans. Les terres abandonnées, mal travaillées ou en friches étaient ainsi remises en valeur. Comme pour les baux emphytéotiques ou comme pour certains baux à ferme de longue durée, les baillées à domaine congéable étaient propres à stimuler le défrichement et, au XVe siècle, les fonciers ne manquèrent pas d'imposer à leurs domaniers la construction ou la reconstruction des édifices.