exode rural. (suite)
Des causes multiples.
• Les chiffres du XIXe siècle traduisent la traditionnelle résistance du monde agricole français, et ceux de l'après-guerre recouvrent l'effondrement de la population active agricole. Cependant, il faut bien distinguer population rurale (les habitants des communes de moins de 2 000 habitants) et population agricole (ceux qui vivent de l'agriculture) : l'effondrement de la seconde est beaucoup plus important que la diminution de la première. Les mouvements constatés après 1975 ne signifient pas un retour à l'agriculture mais le développement de ce que l'on désigne sous le nom d'habitat périurbain, alors que les villes-centres se dépeuplent. Les néo-ruraux habitent la campagne et travaillent en ville.
Les déplacements de la seconde moitié du XIXe siècle s'expliquent par l'attraction de la ville, où le travail est souvent moins pénible, même à l'heure de la première révolution industrielle, et surtout plus régulier que dans les campagnes : on ne saurait en effet oublier que le mal social le plus répandu dans l'économie préindustrielle ne résidait pas dans la pénibilité du travail, mais dans le sous-emploi. C'est également en ville que se concentrent les institutions d'assistance et de soins, les structures éducatives et culturelles. La ville apparaît aussi comme un espace de liberté qui permet d'échapper au contrôle social qu'exercent dans les campagnes petits notables, curés et familles. Enfin, le développement du machinisme réduit les besoins en main-d'œuvre rurale dans le même temps que la disparition des pratiques communautaires rend plus précaire la vie des plus pauvres. Toutefois, ces évolutions ont pu être lues en termes, non de causes, mais de conséquences des départs, la mécanisation répondant au manque de bras, la disparition des communaux à celle de leurs utilisateurs.
La tentation du départ n'a pas été la même pour tous : si la propriété du sol a retenu bien des individus, la maîtrise d'un métier pouvant s'exercer à la ville incitait à quitter la campagne, à l'heure même où l'industrialisation rendait précaire la survie de l'artisanat rural traditionnel. Quoi qu'il en soit, il apparaît, à terme, que la communauté paysanne a gagné en homogénéité avec le départ des éléments qui y étaient les moins bien intégrés.
Des migrations diverses.
• Cependant, l'évolution de la population rurale n'a pas été linéaire. Au XIXe siècle, l'univers agricole a vu se développer des activités nouvelles, apparaître des acteurs inconnus de la vie locale : hommes du chemin de fer, puis de la route, petits fonctionnaires (postiers, instituteurs), membres des professions libérales (médecins, notaires), et commerçants sédentaires se substituant aux antiques colporteurs. Mais, après la Seconde Guerre mondiale, la communauté villageoise s'est appauvrie alors que s'amenuisait la clientèle des services implantés un siècle plus tôt. Le départ des femmes ne s'est pas fait au même rythme que celui des hommes : au XIXe siècle, nombreuses étaient les jeunes rurales qui se plaçaient comme domestiques dans un périmètre limité, avec le projet de revenir se marier au village ; les hommes, souvent migrants temporaires également, se déplaçaient plus loin, ainsi qu'en témoigne l'exemple des maçons de la Creuse venus massivement travailler sur les chantiers parisiens. Ces déplacements se situaient essentiellement dans le cadre des bassins démographiques des villes, bassins qu'a fait éclater le développement des transports. Le chemin de fer a donné une liberté de choix inconnue auparavant et a, notamment, considérablement élargi la zone d'attraction de Paris, devenue lieu de migration, par exemple, des Bretons et des Auvergnats. Après 1945, l'exode des femmes s'est accéléré en raison de la pénibilité de la vie rurale.
Il est à remarquer que les candidats au départ n'ont pas choisi ici, comme nombre de leurs homologues étrangers, les mondes extra-européens - et que même l'Algérie n'exerça qu'un très faible pouvoir d'attraction, malgré les encouragements gouvernementaux et les primes.
De l'archaïsme à la modernité.
• La relative faiblesse de l'urbanisation jusqu'au milieu du XIXe siècle a perpétué la pesanteur du monde rural, laissant à l'écart de l'économie de marché une large fraction de la population nationale, constituant par là même un handicap pour l'industrie et le commerce. Largement représenté à la Chambre, et surreprésenté au Sénat, l'électorat rural a donné une inflexion conservatrice à la décision politique, dont témoignent les tarifs Méline de 1892. Dans l'entre-deux-guerres encore, le « mythe » de l'équilibre nécessaire entre monde rural et monde urbain a servi à couvrir les archaïsmes de la société et de l'économie françaises. Ainsi, il a fallu attendre 1960 pour qu'une politique de modernisation des structures remplace celle du soutien systématique des prix agricoles, dont l'une des pièces maîtresses avait été la création de l'Office du blé par le Front Populaire.
L'exode rural postérieur à 1945 a fourni au pays une large part de la population active dont il avait alors besoin dans les secteurs secondaire et tertiaire et a ainsi fortement contribué aux succès des « Trente Glorieuses ». Il a également permis la modernisation d'une agriculture, longtemps immobile et devenue, depuis, le secteur de production aux gains de productivité les plus élevés. Mais cela n'a été possible qu'au prix d'un regroupement des exploitations et d'une modernisation de l'équipement qui ont entraîné un très lourd endettement.
Touchant particulièrement les femmes et les hommes jeunes, l'exode rural a créé de forts déséquilibres démographiques, avec pour conséquence un taux de célibat masculin important dans les campagnes, un vieillissement très sensible de l'ensemble de la population - surtout des chefs d'exploitation - nécessitant la création, en 1962, d'une indemnité viagère de départ pour permettre aux plus jeunes d'accéder aux responsabilités. Cependant, on ne saurait évaluer l'exode rural en termes exclusivement négatifs : il a certes entraîné l'abandon de formes d'exploitation traditionnelles, dans les régions les plus difficiles, en montagne notamment (abandon des terrasses, réduction de la transhumance). Mais, en contrepartie, la mobilité rurale née de l'automobile tend à mettre les campagnes sur un pied d'égalité avec la ville : privés du médecin de campagne traditionnel, les ruraux ont accès, désormais, à toutes les formes de médecine sophistiquée ; le supermarché voisin leur offre une diversité de produits et des prix qui n'ont rien de commun avec ce que pouvait proposer le petit commerçant maître d'une clientèle captive ; la disparition de l'école unique de hameau a entraîné la création du ramassage scolaire, rendant l'accès possible de tous les enfants de la campagne au collège et au lycée ; et, malgré la disparition du bureau de poste, de la gare ou de l'école, qui étaient, il est vrai, tout comme la forge ou le lavoir, des lieux de sociabilité, le rural bénéficie aujourd'hui d'un éventail de services, totalement ignorés avant la Seconde Guerre mondiale - y compris ceux que lui offre, non sans danger, l'agence du Crédit agricole...