Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
A

Ancien Régime,

expression utilisée dès la Révolution et fixée en 1856 par le livre d'Alexis de Tocqueville, l'Ancien Régime et la Révolution.

C'est sans doute dès l'année 1789 qu'elle apparut : paradoxalement, c'était un hommage à la cohérence globale de ce qui avait été bouleversé, après la nuit du 4 août 1789 et la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Parce qu'ils avaient le sentiment qu'il fallait tout reconstruire, les révolutionnaires prirent conscience que tout un monde et toute une vision du monde avaient disparu en quelques mois, même si la monarchie ou la foi chrétienne, elles, ne furent pas immédiatement mises en cause.

Une question s'est posée aux historiens. L'Ancien Régime correspond-il à la situation telle qu'elle existait en 1789, fruit d'une longue évolution historique ? En tout cas, faut-il considérer avant tout l'organisation telle qu'elle était au XVIIIe siècle, lorsque les contestations fondamentales commencèrent à s'esquisser ? L'historiographie française tend plutôt à appréhender comme un tout les trois siècles qui vont du règne de Louis XII à celui de Louis XVI. Or, bien des réalités de l'époque moderne trouvent leurs racines ou leur définition au Moyen Âge. Il convient donc d'avoir constamment à l'esprit cet acquis médiéval, voire antique, et d'en apprécier la métamorphose sur trois siècles. Cela conduit à décrire aussi la « modernité » de l'Ancien Régime, une image positive, en relief, se dégageant ainsi d'une impression en creux, engendrée par la Révolution.

La primauté du spirituel.

• La cohésion du monde ancien tenait d'abord à des traits spirituels, à un rapport à la transcendance. Le christianisme était la religion du roi et, théoriquement, de tous les Français : elle représentait la base de la monarchie comme de la société. Toute création et toute autorité venaient de Dieu. Le catholicisme l'avait finalement emporté en France à la fin du XVIe siècle. Au XVIIe siècle, Louis XIV revint sur les droits accordés aux protestants par l'édit de Nantes, et les juifs étaient à peine tolérés dans le royaume. Enfin, il n'était pas permis de se proclamer athée ou indifférent. Les sacrements, les fêtes religieuses et la prière marquaient et scandaient la vie de tous les Français. Le clergé occupait une place éminente, car il avait la tâche essentielle de diriger et de confesser les âmes, et, pour son entretien, il bénéficiait du droit de percevoir la dîme. L'Église de France s'était dotée, au fil du temps, d'une puissante organisation. Par le concordat, elle dépendait du roi de France, auquel elle accordait librement une aide globale, un don gratuit. La revendication des libertés gallicanes avait permis à cette Église d'acquérir une grande indépendance à l'égard de la papauté.

Cet ordre spirituel impliquait le respect des autorités religieuses, morales, politiques et intellectuelles. Une surveillance et une censure plus ou moins étroite s'exerçaient sur les écrits ou sur les paroles, pour dénoncer tout ce qui semblait une injure à Dieu, au roi ou aux bonnes mœurs. Les idées hétérodoxes - voire toute nouveauté - pouvaient être condamnées. En effet, le respect du passé, de la tradition, de la coutume était également enraciné. La complexité de l'Ancien Régime réside dans le fait que les institutions ou les édits nouveaux ne supprimaient pas forcément les réalités anciennes mais s'ajoutaient à elles. Cet enchevêtrement, parfois inextricable, était une véritable providence pour qui savait le démêler - en particulier les savants juristes -, ou simplement s'en accommoder. En défendant des droits acquis dans le passé, une province, une ville, un bourg, une communauté, un « corps », un métier, défendaient souvent des privilèges, droits dont d'autres ne jouissaient pas : exemptions de taxes, « franchises » municipales ou « libertés » provinciales. Ainsi, l'Ancien Régime ne connaissait guère la liberté, mais il fut le conservateur et le protecteur de nombre de libertés.

Le roi comme arbitre suprême.

• L'Ancien Régime signifiait surtout une organisation des pouvoirs, un ordre politique, fondés sur la monarchie de droit divin : les Français étaient les « sujets » d'un roi, et ce mot même indique qu'ils lui devaient obéissance. Toute l'autorité émanait d'une seule source, le roi, qui, depuis le Moyen Âge, était considéré comme empereur en son royaume et ne reconnaissait aucune puissance au-dessus de lui, sinon Dieu. Son autorité se renforça par le biais de la construction de l'État, c'est-à-dire d'une administration bien structurée, étoffée et efficace, mais aussi par l'affirmation de la souveraineté royale après l'épreuve des guerres de Religion : le roi était l'arbitre suprême autant que le dispensateur de toute justice, le créateur de toute loi et le défenseur du royaume. Il n'existait pas de texte constitutionnel ; il y avait néanmoins des lois fondamentales, fruits de l'histoire.

Mais la puissance publique était largement déléguée. D'une part, des offices avaient été créés, qui, avec le temps, étaient devenus vénaux et héréditaires. D'autre part, des commissions temporaires et précises avaient favorisé l'installation d'intendants dans les provinces, qui, devenus « les yeux et les oreilles du prince », amplifièrent l'unification, la modernisation et la centralisation du royaume. L'État prit ainsi une place centrale et un poids particulier dans la vie du royaume, ce qui fit la singularité du « modèle » français d'administration.

Cet État s'était renforcé à travers les guerres, qui avaient impliqué la création d'une armée permanente, donc de l'impôt permanent. Les conflits tout au long du XVIIe siècle avaient entraîné un bond quantitatif de l'impôt royal, qui n'avait pas été accepté sans révoltes ni tensions. Il avait été collecté, pour la taille, dans le cadre traditionnel des paroisses et, pour les impôts indirects surtout, avec le concours intéressé de financiers liés à la couronne. À son tour, il avait permis le développement de l'action monarchique. Pourtant, la monarchie se montra incapable de transformer durablement sa fiscalité, en raison même des divers privilèges octroyés, et elle ne disposa pas des méthodes et des institutions financières qui existaient en Hollande ou en Angleterre. Ainsi, la crise des finances publiques fut à l'origine de la réunion des états généraux en 1789.