Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
E

État,

entité incarnée dans un ensemble d'institutions, ayant en toute souveraineté la charge des intérêts collectifs d'une population indépendante.

La spécificité française résiderait dans un processus combiné d'exaltation de l'État et de centralisation dans la très longue durée.

L'assise territoriale de l'État français a beaucoup varié entre son apparition à la fin du Ve siècle et 1947, année des dernières rectifications frontalières. Les principaux épisodes ont été le règne de Clovis, les partages de 843 et 870, le XVe siècle (annexion du Dauphiné et de la Provence), les règnes de François Ier (Bretagne), Louis XIV (Franche-Comté, Roussillon, Nord, Alsace), Louis XV (Corse, Lorraine) et Napoléon III (Savoie, Nice).

Monarchie - fût-elle consulaire ou impériale - jusqu'en 1870 (à l'exception de deux épisodes républicains : 1792-1799, 1848-1851), puis république représentative (sauf sous Vichy, de 1940 à 1944), cet État a été dépourvu de Constitution écrite jusqu'en 1790. Depuis, il en a connu une douzaine. On peut lire néanmoins derrière ces variations les signes d'une profonde continuité.

Suprématie de l'État.

• Legs de l'Antiquité, l'idée d'un État abstrait, permanent, a d'abord été un temps oubliée au profit d'une conception patrimoniale et héréditaire du royaume et de la fonction royale. Elle a été contrebalancée par la vision germanique des rapports entre hommes libres - le roi doit protéger ses sujets qui, en retour, sont tenus à l'obéissance et à la fidélité personnelle - et, jusqu'à Philippe Auguste, par la présence d'un élément électif dans la succession au trône. Sous les Carolingiens a commencé un processus de séparation entre État et société, lorsque la pratique du sacre a fait du roi l'élu de Dieu, ne devant rendre de comptes qu'à celui-ci et chargé de guider le peuple vers le salut tout en se conformant aux principes chrétiens. Sous les premiers Capétiens, des légendes renforcent la dimension surhumaine de la monarchie, notamment celle des pouvoirs thaumaturgiques du roi de France.

L'influence de l'Église dès le IXe siècle, puis celle du droit romain à partir de la fin du XIIe siècle, ont fait redécouvrir le concept d'un État indépendant de la personne du roi et institué pour le « commun profit », concept qui rejoignait la vision germanique des temps mérovingiens et conduisit, à partir du XIIIe siècle, à mettre l'accent sur la fonction judiciaire du souverain. Les faiblesses dues à la structure féodale de la société et au manque de moyens financiers et militaires furent ainsi compensées par l'implantation progressive d'un dense réseau de judicatures royales, tandis que s'élargissait le champ d'application des ordonnances royales. À cet État justicier, la guerre de Cent Ans apporta les premiers éléments d'une fiscalité permanente largement étendue, d'une administration étatique (les officiers) et, sur la fin, d'une forte armée royale. Désormais, l'armée et la guerre allaient commander l'évolution de l'appareil étatique, dans ses structures comme dans son rôle, et entraîner logiquement un approfondissement de la réflexion sur l'État.

En effet, le souci de l'efficacité financière et du nécessaire maintien de l'ordre pendant des guerres de plus en plus longues et de plus en plus coûteuses provoqua l'étoffement de l'encadrement administratif, le développement et l'extension sociale de l'impôt, la mise en place d'un service militaire, d'une administration de la guerre - aussi lourde d'unification que la fiscalité - et l'intervention de l'État dans l'économie. Ces processus relèvent de ce qu'on a appelé la « centralisation royale », symbolisée par l'intendant, la Ferme générale, le colbertisme, les bureaux de Versailles.

Plus importante pour l'avenir a peut-être été la réflexion politique de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle, menée notamment par un Jean Bodin ou, plus tardivement, par les juristes Loiseau et Le Bret. Elle a caractérisé rationnellement le pouvoir d'État par la souveraineté, indivisible, incommunicable, illimitée, tout en séparant nettement le roi de l'État (le terme date du XVIe siècle) et en faisant du pouvoir législatif la principale prérogative de celui-ci, à la place du judiciaire.

La Révolution n'a pas totalement rompu avec l'ancien système. Expression de la nation (corps des citoyens associés, seul détenteur de la souveraineté), l'État, devenu source unique du droit, débarrassé de tous les anciens obstacles institutionnels à son action, bénéficiant du véritable culte attaché à la loi, s'est imposé au sujet, rebaptisé « citoyen ». Ce dernier ne dispose cependant que de deux droits politiques (le second étant à éclipse) : celui de déléguer et celui de se prononcer sur l'organisation des pouvoirs publics. Écrasant, jusqu'à une date récente, la vie locale à un degré encore inconnu, l'État a d'abord privilégié le maintien de l'ordre, l'organisation des finances, le libéralisme économique. Cependant, dès le début du XIXe siècle, il a renoué avec les vœux des philosophes du XVIIIe siècle et l'essence du programme jacobin : créer un homme nouveau en « fabriquant » la nation, en formant la jeunesse, en essayant de résoudre les maux de la société. À partir des années 1850, puis beaucoup plus fortement au XXe siècle, il s'est immiscé dans la vie économique, sociale, culturelle, jusqu'à prendre, après la Seconde Guerre mondiale, la forme de l'État-providence, imposant par diverses procédures une solidarité de plus en plus étendue pour faire face aux risques sociaux.

Une opposition limitée.

• Jusqu'à la Révolution, la forme monarchique de l'État n'a jamais été sérieusement remise en cause, pas plus d'ailleurs que le pouvoir illimité du roi. Ce qu'ont réclamé, dans des propositions théoriques ou sous des formes violentes, la noblesse (IXe, Xe et XIVe siècles, et du XVIe au XVIIIe siècle) ou la bourgeoisie (troubles du XIVe, états généraux du XVIe siècle), c'était la participation à l'exercice du pouvoir ; ce qu'ont condamné ces groupes et des éléments populaires aux XVIIe et XVIIIe siècles (« émotions », libelles, remontrances), c'était le « despotisme ministériel », système de gouvernement qui entendait briser les obstacles au pouvoir d'État (libertés des corps, prérogatives des tribunaux ordinaires, coutumes « constitutionnelles » en matière fiscale, pouvoirs des états provinciaux), et le déséquilibre des pouvoirs (Montesquieu). Mais le droit de résistance à la tyrannie n'a guère été formulé, sinon au IXe siècle, par les « monarchomaques » du XVIe, par les protestants au XVIIe, peut-être parce que, dans la vie quotidienne, le pouvoir monarchique laissait beaucoup de liberté aux individus, pourvu qu'ils appartinssent à un corps. Même les révolutionnaires ont évoqué ce droit avec circonspection.