an mil,
crainte de nature religieuse qui aurait accompagné, en Occident, la fin du premier millénaire.
Selon l'Apocalypse de saint Jean (XX, 6-8), la fin du monde devait advenir mille ans après l'avènement du Christ. Ces prophéties ont-elles engendré, à la veille de l'an mil, une terreur générale de l'Occident chrétien, effrayé par des signes célestes (comètes, éclipses) et terrestres (épidémies, famines) conformes à l'annonce de l'Antéchrist ? Le témoignage isolé apporté dans la chronique du moine bourguignon Raoul Glaber (vers 985-vers 1047), qui décrit les calamités survenues avant le millénaire de la Rédemption (1033), ne suffit pas à attester l'existence d'une telle attente. En effet, à cette époque, les hommes ne comptaient pas le temps en siècles ; ils n'avaient donc pas conscience de vivre l'an mil. Pour la minorité de clercs avertis de l'échéance, la lecture autorisée de l'Apocalypse par saint Augustin interdisait toute interprétation littérale de la date.
La peur de l'an mil ne semble pas correspondre à une réalité médiévale ; elle est une légende française, et moderne. Ce mythe apparaît pour la première fois en 1605 dans les Annales ecclésiastiques du cardinal Baronius, mais l'Ancien Régime ignore en fait l'« an mil », qui n'est redécouvert qu'après 1830. L'historiographie romantique - Michelet en tête - s'en empare alors, et le thème devient un enjeu politique et religieux. Les historiens libéraux et républicains contestent, par ce biais, la « légende dorée » d'un beau Moyen Âge catholique. Allant plus loin, les anticléricaux considèrent l'an mil comme l'instrument de la terreur cléricale qui s'abat sur des hommes ignorants et crédules : les populations vivant dans le plus grand dénuement attendent la fin du monde, alors que l'Église, qui n'y croit point, y trouve son compte. Merveilleux thème romantique, l'an mil sert également à valoriser l'action civilisatrice de l'Église, ou à décrire l'âge de fer dont l'avènement des Capétiens et la naissance de la « nation française » sonnent le glas.
Pièce maîtresse de la construction d'une image d'un Moyen Âge obscur et superstitieux, la légende résiste aux remises en cause incessantes depuis le début du XXe siècle. Elle permet d'illustrer les mentalités médiévales. La vague de dévotion et de pénitences populaires qu'aurait suscitée la terreur eschatologique est présentée comme une cause lointaine des croisades. Élément explicatif, le mythe semble tracer une séparation entre un haut Moyen Âge, foisonnant mais désordonné, et une féodalité organisée, qui marque, par l'essor de l'Occident, le début de la civilisation moderne. L'historiographie française garde, de nos jours, cette référence explicative lorsqu'elle renvoie au concept d'une « mutation de l'an mil ».
Anagni (attentat d'),
coup de force mené contre le pape Boniface VIII par Sciarra Colonna et Guillaume de Nogaret, l'envoyé de Philippe le Bel, le 7 septembre 1303.
Depuis 1294, la tension s'exacerbe entre le pape et le roi de France : elle débouche sur une crise, lors de l'arrestation, en 1301, de Bernard Saisset, partisan de Boniface VIII. Ce dernier saisit cette occasion pour affirmer sa prééminence sur le roi de France. Il renoue ainsi avec les prétentions théocratiques des pontifes du XIIIe siècle, heurtant de front le mouvement de renforcement de l'État royal français. En décembre 1301, la bulle Ausculta fili convoque les prélats français à un concile prévu à Rome pour la Toussaint de l'année 1302, dans le dessein de favoriser « le progrès de la foi catholique, la réforme du roi et du royaume, la correction des abus ». En réponse, le roi réunit les représentants du royaume à Notre-Dame, le 10 avril 1302. Devant l'assemblée, le légiste Pierre Flote expose la politique royale, qui reçoit un large soutien. Les prélats du domaine royal ne s'étant pas rendus au concile, Boniface VIII durcit le ton. Le 18 novembre 1302, il fulmine la bulle Unam sanctam, dans laquelle il expose son droit de déposer tout prince n'agissant pas conformément au bien de l'Église. Le texte est inacceptable pour le roi : au cours du conseil du Louvre (13 juin 1303), Guillaume de Plaisians se livre à un réquisitoire féroce contre Boniface VIII, l'accusant de simonie, de sodomie, d'idolâtrie... Hérétique, le pape doit être jugé par un concile. Le roi obtient sur ce point l'assentiment des princes et des prélats. Guillaume de Nogaret - principal conseiller du roi depuis la mort de Pierre Flote à la bataille de Courtrai - part donc pour l'Italie avec mission de convaincre le pape d'accepter sa mise en jugement. Il est rejoint par Sciarra Colonna, dont la famille joue un rôle important dans toute l'affaire, car le pape a privé ses membres de leurs charges et de leurs biens en 1297. Ils s'emparent d'Anagni, résidence d'été du pape, dans la nuit du 6 au 7 septembre 1303, la veille de la publication de la bulle d'excommunication du roi de France. Selon la propagande pontificale, Nogaret va jusqu'à gifler le pape. Bien que célèbre, la scène n'en est pas moins mise en doute. Boniface VIII reste prisonnier deux jours, avant d'être libéré par le peuple de la ville. Il meurt à Rome le 11 octobre. En 1310, à la demande du roi de France, le pape Clément V ouvre un procès posthume contre Boniface VIII ; aucune suite ne lui sera donnée. L'attentat d'Anagni met un point final à toute velléité de théocratie papale.
anarchisme,
conception politique et sociale qui récuse toute autorité imposée, en particulier celle de l'État, et se propose de fonder la vie en société sur des contrats négociés entre volontés individuelles.
Les grandes lignes en sont fixées dès le milieu du XIXe siècle. Très vite se distinguent plusieurs courants : l'anarchisme individualiste (Stirner), qui dénonce les contraintes que fait peser la société bien-pensante sur les individus ; le proudhonisme, qui prône la « libre fédération » contre la délégation de pouvoir, et le mutuellisme contre le libéralisme ; l'anarchisme collectiviste (Bakounine), qui vise à instaurer le communisme libertaire à la place du capitalisme.