château. (suite)
Le château fort médiéval prend appui, presque systématiquement, sur une topographie favorable pour asseoir sa défense - éminence naturelle ou barrière d'un cours d'eau -, que des travaux de terrassement complètent et renforcent : reliefs redécoupés et accentués, creusement de fossés, surélévations artificielles. Le donjon, ou tour maîtresse, concentre les éléments défensifs : l'épaisseur de ses murs (jusqu'à plus de 4 mètres à la base), la rareté de ses ouvertures (rez-de-chaussée aveugle, étroites fentes de tir), la protection de l'accès (porte au premier étage), des aménagements sommitaux (crénelages et mâchicoulis), le consacrent comme le pivot d'une défense renforcée par la possibilité de l'isoler du reste du château. La défense passive est assurée par la diversification des barrages : flanquements de courtines, chemise de protection de la base du donjon, redoublement des enceintes, chicanes. La défense active s'appuie principalement sur les superstructures de bois (hourds), qui permettent, depuis les créneaux et les différentes ouvertures de visée, une riposte efficace. L'accès au château bénéficie d'une protection particulièrement soignée, avec des systèmes de fermeture complexes associant herse et pont-levis, et accompagnés, à l'extérieur, de défenses avancées : bretèches, fossés et barbacanes, complétés, à l'intérieur, par un assommoir ménagé dans la voûte du couloir d'accès, ou une souricière.
Les fonctions du château
Le château est le lieu où s'exercent, outre un rôle militaire, les fonctions politiques et administratives qu'assume son propriétaire. L'architecture intérieure doit offrir à celui-ci un cadre majestueux adapté : la grande salle, décorée, de dimensions exceptionnelles (atteignant parfois plusieurs dizaines de mètres de long), occupe la position centrale. S'y déroulent des audiences, des réceptions et des fêtes ; le châtelain y rend également la justice, une fonction qui s'inscrit jusque dans la topographie : le château domine le paysage, comme pour rappeler qu'il est le garant de l'ordre. Des cellules étroites, qui parfois constituent l'essentiel de l'espace vital, comme à Provins, sont fréquemment aménagées. Une pièce, la salle des archives, souvent dépourvue de fenêtres, et située tout en haut du bâtiment, est dévolue à la conservation des documents qui permettent le recensement des habitants et l'établissement de la cote des impôts.
Centre économique du domaine, le château fort abrite systématiquement silos et réserves. En règle générale, les stocks alimentaires sont rangés dans des salles souterraines ou aveugles, dont l'obscurité - qui les a longtemps fait passer pour des oubliettes - doit garantir une bonne conservation des denrées. Des magasins sont aménagés dans les sous-sols, jusque dans les châteaux royaux, comme à Vincennes. Lorsque la demeure se résume à un donjon de pierre, ce rôle est assumé par la salle basse, à laquelle on n'accède, le plus souvent, que par un oculus ouvert dans la voûte du plafond. Dans les imposantes enceintes de la fin du Moyen Âge, une vaste cave est quelquefois creusée à même le roc : ainsi, à Blandy-les-Tours, en Seine-et-Marne, une grande cave voûtée quadrangulaire, où l'on entre par des escaliers, servait de resserre au logis.
Le double rôle judiciaire et de perception de l'impôt explique que le seigneur soit souvent considéré comme un exploiteur. « On construit des châteaux / Seulement pour étrangler les pauvres », dit au XIIIe siècle l'Allemand Freidank. En réalité, en cas de troubles, le château offre un bon abri pour les biens agricoles, qu'il s'agisse de matériel exigeant des investissements lourds, telle la charrue, de stocks alimentaires, ou de bétail sur pied. C'est aussi la raison pour laquelle les infrastructures agricoles banales telles que le moulin et le pressoir, voire le four, sont volontiers construites à l'intérieur des enceintes des châteaux. Des potagers et des vergers sont plantés dans la basse cour.
Le château fort est aussi un lieu de résidence, et, dès les XIe et XIIe siècles, cette dernière fonction empiète sur celle de défense. Les bâtisseurs ajoutent au donjon et à l'enceinte une cuisine, souvent séparée du corps principal pour des raisons de sécurité, ainsi qu'un puits ou une citerne d'eau de pluie, qui, en revanche, sont disposés au plus près du donjon, pour permettre la survie des défenseurs en cas de siège. Du XIIIe au XVe siècle, la cuisine, souvent située au rez-de-chaussée, comme à Vincennes, est dotée d'aménagements complets : elle comporte un évier de pierre avec évacuation d'eau, une grande cheminée pour la préparation des repas, voire une glacière, comme au château de Mehun-sur-Yèvre, où résidèrent successivement le duc Jean de Berry et Charles VII. Au-dessus des salles de stockage et de la salle d'apparat se trouvent les chambres destinées à la famille du seigneur. Tôt dotées de cheminées - ou de poêles dans l'est du pays - et de latrines relativement confortables, avec sièges et orifices de ventilation, les pièces comportent aussi des fenêtres à coussiège, qui fournissent un minimum de lumière sans trop refroidir l'habitat ; elles ne seront que tardivement vitrées, et sont souvent de dimensions réduites, adaptées à la fois aux nécessités de la défense et à celles du confort.
À l'exception du lit, le mobilier médiéval est réduit et démontable, pour dégager le maximum d'espace dans la journée. À partir du XIIIe siècle, pour répondre aux exigences nouvelles de confort de la gent seigneuriale, le donjon est abandonné à la garnison, au profit d'un logis de pierre ou en pans de bois, où réside désormais la famille du seigneur. Bâtis dans la cour, souvent accolés au donjon, ces logis proposent un espace vital bien plus vaste que celui offert par l'édifice précédent, dont la surface était nécessairement limitée ; aux pièces circulaires des donjons des XIIe et XIIIe siècles, malaisées à aménager, succèdent alors des salles carrées, où nulle place n'est perdue pour l'habitabilité. Aux XIVe et XVe siècles, le château des puissants se transforme en palais, tel celui des ducs de Bretagne, à Suscinio (Morbihan).