révolution de 1848. (suite)
Ainsi, le pouvoir monarchique s'est effondré sans résistance, révélant son usure. Une fois de plus, le peuple de Paris a imposé sa loi. La surprise est grande, aussi bien chez les vaincus que dans le camp des vainqueurs, non préparé à l'exercice du pouvoir. Le vide politique est total. Il n'y plus ni dynastie de recours, ni Constitution, ni même une Assemblée représentative. La nouvelle équipe gouvernementale tient son pouvoir d'une insurrection victorieuse.
Persistance d'une situation révolutionnaire.
• Loin de clore un processus politique, la révolution de février est suivie d'une période d'effervescence et de troubles traduisant, selon l'expression de l'historien Philippe Vigier, « un profond ébranlement des esprits et des cœurs ». L'historiographie a inventé le terme d'« illusion lyrique » pour définir l'idéal qui prévalut dans le climat romantique du moment, un idéal de réconciliation des classes et d'avènement d'une société fraternelle sans violence. Cet idéal s'accompagne d'une mystique du peuple, encouragée par Lamartine et Michelet, et qu'illustre très bien le refrain à la mode : « Chapeau bas devant la casquette, à genoux devant l'ouvrier ».
La fièvre politique est tout d'abord la conséquence de la disparition de l'autorité publique. Le peuple en armes est maître de la rue à Paris, multipliant les manifestations pour obtenir la satisfaction de ses revendications et pour ne pas se voir confisquer sa révolution, comme en 1830. La liberté totale de réunion et de presse est accordée le 4 mars. Dès lors, les clubs se multiplient à Paris, dépassant le chiffre de 250 en quelques semaines - Flaubert en a restitué l'atmosphère dans l'Éducation sentimentale. On y discute de projets de réforme de la société, dont l'audace se conjugue le plus souvent avec un ton débonnaire. Si le socialisme qualifié d'« utopique » s'y exprime pleinement, la lutte de classes n'est prônée que par une minorité. Des revendications féministes sont formulées dans certains clubs. Parallèlement, une presse démocratique à bon marché, libérée du cautionnement, peut se développer et, en quelques jours, 274 nouveaux journaux font leur apparition dans la capitale.
L'effervescence se nourrit aussi de l'aggravation de la crise économique. Les épargnants, inquiets, retirent leurs fonds des caisses d'épargne et des divers établissements financiers, provoquant une pénurie de capitaux, des fermetures de caisses de crédit et une hausse brutale du taux d'escompte, qui entraînent un ralentissement de l'activité économique, une montée du chômage et divers mouvements sociaux. L'« illusion lyrique » s'en trouve dissipée. Elle a d'ailleurs été plus le fait de Paris que de la province, où s'expriment dès février des rancœurs contre l'ancien personnel dirigeant et les autorités sociales. Les troubles agraires se multiplient : les paysans s'en prennent à l'administration des Eaux et forêts, accusée de limiter les droits de pacage dans les bois communaux ou nationaux ; des châteaux sont pillés ; des grands propriétaires sont menacés et contraints de relever les salaires agricoles. Les ouvriers opèrent de nouvelles destructions de machines en Normandie et dans le Lyonnais ; le matériel ferroviaire est saboté sur la ligne Paris-Le Havre par des mariniers et des voituriers victimes de la concurrence du chemin de fer. Au lendemain de la révolution, les désordres amplifient l'immense peur sociale des notables, qui se terrent.
Cette situation contraint le Gouvernement provisoire à multiplier les concessions et les réformes dès les jours qui suivent la révolution : proclamation du droit au travail et création, en application de ce principe, des ateliers nationaux (25 et 26 février) ; instauration, à défaut d'un ministère du Travail, de la Commission du gouvernement pour les travailleurs (28 février) - la « Commission du Luxembourg » -, présidée par Louis Blanc, accréditant l'idée d'une révolution sociale en marche ; décret du 2 mars sur la limitation de la journée de travail à dix heures à Paris, et douze heures en province. À ces initiatives sociales s'ajoutent les grandes réformes politiques et humanistes : adoption, le 5 mars, du suffrage universel masculin pour les citoyens âgés de 21 ans et plus, véritable « saut dans l'inconnu » faisant passer le corps électoral de 250 000 à 9 millions de personnes ; abolition de la contrainte par corps et des châtiments corporels ; ouverture de la Garde nationale à tous les citoyens et dissolution des compagnies d'élite ; abolition de l'esclavage aux colonies. Ces mesures, en apportant des satisfactions immédiates, ont pu prolonger quelque temps l'« illusion lyrique » avant l'épreuve de force entre les partisans de la révolution démocratique et sociale et les tenants de l'ordre bourgeois.
L'épreuve de force.
• Soucieux d'asseoir sa légitimité, le Gouvernement provisoire souhaite organiser au plus vite les élections à l'Assemblée constituante. Le décret du 5 mars en fixe la date au 9 avril. Mais les républicains avancés en désirent l'ajournement, estimant que le peuple inculte ne peut exercer ses droits sans une formation civique préalable. Le 17 mars, une importante manifestation est organisée pour riposter à celle des « bonnets à poils » de la Garde nationale qui s'opposent à la dissolution des compagnies d'élite. Une délégation obtient un délai supplémentaire de 15 jours. Le 16 avril, une nouvelle manifestation en faveur d'un report plus important échoue devant la mobilisation des bataillons bourgeois de la Garde nationale, premier succès des adversaires de la révolution. Le gouvernement en profite pour réintroduire quelques troupes de garnison dans la capitale. Elles viennent renforcer la Garde nationale mobile, recrutée parmi les ouvriers chômeurs. Le rapport de forces commence à se modifier.
Les élections se déroulent le 23 avril. Malgré le zèle des commissaires de la République envoyés en province par Ledru-Rollin, malgré l'action des clubistes parisiens et celle de quelques instituteurs stimulés par Hippolyte Carnot (devenu ministre de l'Instruction publique), les électeurs votent en grande majorité pour des républicains authentiques mais modérés. Les radicaux de la tendance Ledru-Rollin et les socialistes sont nettement battus. Les conséquences politiques sont immédiates puisque la Commission exécutive de cinq membres, élue les 9 et 10 mai, est nettement plus conservatrice que le Gouvernement provisoire qu'elle remplace : elle est composée d'Arago, Garnier-Pagès, Marie, Lamartine et Ledru-Rollin, ce dernier étant le seul représentant du courant le plus avancé.