domestiques, (suite)
Le serviteur modèle, totalement dévoué à son maître, lui donne à la fois son corps et son temps. Son être même est nié : portant livrée, il reçoit parfois un prénom autre que le sien. Il ne dispose guère de la possibilité de mener une vie conjugale. Les bonnes engrossées - il n'est pas rare qu'elles le soient par le maître - recourent souvent à l'infanticide. Elles risquent également un renvoi, qui les met dans une situation misérable si elles sont privées du certificat de bonne conduite : elles ne peuvent plus alors être employées et sont souvent vouées à la mendicité ou à la prostitution. La Révolution ne change en rien la condition des serviteurs, qui sont exclus du droit de vote par les Constitutions de 1791 et 1793.
Des conditions de vie inégales.
• Issus des classes populaires, les domestiques vivent en permanence au contact des groupes sociaux les plus aisés. Ils s'élèvent par l'instruction, à laquelle ils ont accès, et par le mode de vie, auquel ils participent indirectement, allant jusqu'au mimétisme du langage et des opinions politiques de leur maître. Indispensables au prestige de ce dernier, ils n'en sont pas moins l'objet d'un certain mépris. Ils sont au cœur de la famille sans lui appartenir vraiment, connaissent presque tout de son intimité, mais sont censés n'en rien voir, et ne doivent rien en dire. Parfois souffre-douleur de leur maître, ils sont aussi leur faire-valoir : celui-ci assume son devoir de bon chrétien en assurant leur instruction religieuse, et en surveillant leurs mœurs. Ainsi, les œuvres catholiques prennent-elles quelques initiatives paternalistes en leur faveur dès les années 1820.
Les conditions de vie varient avec le rang social du maître. Mais les tâches ménagères impliquent de toute façon une peine quotidienne. Astreintes à monter l'eau, le bois, puis le charbon, aux étages, à cirer les parquets, à entretenir le linge et à faire la cuisine, les bonnes à tout faire voient leur santé se dégrader rapidement. Elles vivent dans des chambres exiguës, mal isolées contre le froid, la chaleur ou les bruits ; parfois même, elles ne sont pas à l'abri des regards indiscrets. Les gages varient selon les catégories : en 1910, un maître d'hôtel parisien peut gagner 500 francs par an, tandis qu'une bonne à tout faire reçoit entre 30 et 60 francs. Mais les bonnes ou les femmes de chambre les mieux placées parviennent à épargner le montant d'une dot qui leur permet un mariage au-dessus de leur condition. En outre, des serviteurs fidèles reçoivent étrennes et gratifications, qui arrondissent leurs gages. Ainsi, l'état de domestique a pu être le moyen d'une modeste promotion sociale. Il n'en est pas moins en contradiction avec une société qui se veut démocratique : les plaintes des maîtresses de maison à propos de la difficulté de se faire servir annoncent, à partir de 1880, la crise de la domesticité, qui se traduit par l'inflation des offres d'emploi et l'augmentation des gages, le développement timide du syndicalisme des gens de maison, et l'apparition tardive d'une législation protectrice. Toutefois, la disparition de ce groupe social ne s'amorce qu'à partir de 1920-1930.
Si les Figaro de théâtre ont nourri l'imaginaire des maîtres, mais le Journal d'une femme de chambre, dans lequel Octave Mirbeau laisse la parole à Célestine, a mis en lumière les difficultés de la condition ancillaire.