Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
C

Creusot (Le), (suite)

Après la mort d'Eugène Schneider, en 1875, la croissance se poursuit, sous la houlette de son fils Henri, puis de son petit-fils Eugène, malgré une période de crise entre 1882 et 1887. En 1914, les usines du Creusot emploient 15 000 ouvriers - sur une population de 38 000 habitants. L'acier occupe alors une place prépondérante dans la production.

Un capitalisme paternaliste.

• Ce développement ne saurait être compris indépendamment du système mis en place par les Schneider, et qui peut être considéré comme l'un des sommets du paternalisme industriel. Alors que, jusqu'à la fin du XIXe siècle, la majeure partie de la production industrielle française dépend encore de petits ateliers ruraux ou urbains, le souci constant des Schneider est de fixer, discipliner et former la main-d'œuvre dans une grande ville-usine constituant un système clos. Dès 1837, des écoles sont créées pour assurer la formation des futurs employés de la compagnie, une initiative en rupture avec la tradition de transmission du savoir-faire ouvrier dans l'atelier. D'autre part, considérant que la préservation de la famille et de la propriété sont les meilleurs moyens d'assurer la moralisation et la « reproduction » de la main-d'œuvre sur place, les Schneider prennent progressivement en charge tous les aspects de la vie des Creusotins : santé, logement, retraite, allocations familiales.

La dépendance de la population à l'égard des Schneider, le poids politique de la dynastie, rendent toute opposition difficile, ou radicale. Les grèves sont peu nombreuses, mais dures : en 1870, les ateliers, puis les mines, sont paralysés ; la grève de 1899 donne lieu à un arbitrage du gouvernement et à la création des premiers délégués ouvriers, et celle de 1900, à l'exil de nombreux ouvriers hostiles aux Schneider.

Crises et déclin.

• Après la Première Guerre mondiale, tout en restant une grande ville industrielle, Le Creusot, concurrencé par d'autres sites, perd de son importance. En 1936, la nationalisation de la fabrication des armes et les lois sociales du Front populaire, qui rendent le paternalisme obsolète, réduisent l'emprise des Schneider sur la ville.

La reconstruction au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, puis l'édification européenne, la concurrence de nouveaux pays et de nouveaux matériaux, conduisent à d'importantes concentrations dans la sidérurgie française. Après la mort, en 1960, de Charles Schneider, dernier membre de la famille à la tête du groupe, la fusion des Forges et ateliers du Creusot avec les Ateliers et forges de la Loire donne naissance, en 1970, à Creusot-Loire, qui devient le premier groupe national pour les aciers spéciaux. Mais la crise frappe durement cette nouvelle société, qui fait faillite en 1984. Déclaré « pôle de conversion », Le Creusot doit faire face à la suppression progressive de 3 000 emplois, ainsi qu'à une reconversion douloureuse. Pour partie, ses usines, emblématiques de la croissance industrielle française au tournant du siècle, ont été transformées en musée.

Crimée (guerre de),

guerre qui dure, pour la France, de mars 1854 à septembre 1855, et qui a pour origine une crise religieuse et diplomatique, dont les enjeux directs sont le contrôle des détroits de la mer Noire et le maintien de l'influence française dans les régions ottomanes du Levant. Elle s'insère dans un conflit qui oppose la Russie à l'Empire ottoman soutenu par l'Angleterre, la France, le Piémont et l'Autriche.

L'enjeu ottoman.

• Depuis Louis XV, la France se considère comme la protectrice attitrée des chrétiens latins de Palestine. Ce protectorat sur les Lieux saints se heurte cependant aux revendications des chrétiens orthodoxes, protégés par la Russie. Après les incidents qui opposent des religieux catholiques et des moines orthodoxes à Jérusalem et à Bethléem, le tsar Nicolas Ier, qui reproche au gouvernement turc d'avoir accordé de nouveaux privilèges aux chrétiens latins (décembre 1852), imagine un plan de partage de l'Empire ottoman. Celui-ci, remanié et proposé au gouvernement anglais entre janvier et juillet 1853, démembrerait « l'homme malade de l'Europe » et permettrait à la Russie de contrôler la péninsule Balkanique en partageant avec l'Angleterre son influence sur les Détroits. Contrairement aux attentes de Nicolas Ier, cette politique suscite l'opposition conjointe des Anglais et des Français, qui soutiennent la Porte. Lorsque les armées russes envahissent, en juillet 1853, les principautés ottomanes de Moldavie et de Valachie, Napoléon III a déjà fait aux Anglais des propositions d'alliance contre la Russie. La guerre russo-turque éclate officiellement en octobre 1853. Dès mars 1854, les Franco-Anglais entrent en lice aux côtés des Turcs, puis sont rejoints par le royaume de Piémont-Sardaigne en avril 1855 et, enfin, quelques jours avant la capitulation russe (décembre 1855), par l'Autriche, dont l'engagement avait été décidé un an auparavant.

Redonner du prestige à la France.

• On distingue deux grandes phases dans l'intervention militaire, présentée par Napoléon III comme l'occasion de mettre la France « à la tête des idées généreuses ». De la fin avril au début septembre 1854, le corps expéditionnaire français, commandé par le maréchal Saint-Arnaud, s'achemine de Marseille à Gallipoli et à Constantinople, où le rejoint le contingent anglais du général Raglan. Durant cette période d'attente et d'incertitudes, les armées franco-anglaises sont décimées par une épidémie de choléra, avant de mettre le cap sur la Crimée.

Dans une seconde phase, du 1er septembre 1854 au 10 septembre 1855, ont lieu les principaux combats de l'expédition de Crimée proprement dite. Après la victoire de l'Alma (20 septembre 1854), les troupes françaises, anglaises et sardes fondent sur Sébastopol. Le siège de cette place forte défendue par Gortchakov et Todleben - épisode le plus marquant de la guerre - illustre la geste des sacrifices héroïques de l'armée française, commandée par Canrobert et Pélissier. La durée des opérations, la volonté de Napoléon III d'assurer le commandement en personne (auquel il renonce sous la pression des ministres), les rigueurs de l'hiver (malgré la « criméenne », pèlerine créée pour la circonstance), les difficultés de ravitaillement des troupes, la participation des zouaves de l'armée d'Afrique, sont autant de faits qui impressionnent l'opinion française. C'est la menace de l'intervention autrichienne qui incite les Russes à abandonner la place, après la prise par Mac-Mahon de la tour Malakoff (8 septembre 1855), deux jours avant l'entrée des troupes françaises victorieuses. Le congrès de Paris réunit de février à avril 1856 les belligérants : le traité, signé le 30 mars, met fin officiellement au conflit en garantissant l'intégrité de l'Empire ottoman, sous le contrôle des grandes puissances. Le rôle joué par la France et le règlement du conflit sont interprétés comme un succès diplomatique de Napoléon III. Ce dernier a en effet réussi à bouleverser les rapports de force internationaux, instaurés par le congrès de Vienne et la Sainte-Alliance, en isolant la Russie, en se rapprochant de l'Angleterre et en donnant au Piémont-Sardaigne la possibilité de s'exprimer militairement et politiquement dans le concert des puissances européennes.