Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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presse (suite)

La dérive capitalistique de la presse inquiète d'autant plus les journalistes - désormais relégués au rang de simples employés - que les scandales politico-financiers révèlent une corruption organisée. Une série de rapports publiés entre 1889 et 1892 montre que la presse a reçu près de 60 % des 22 millions affectés à sa publicité par la Société du canal de Panamá. Du Temps au Gaulois, du Figaro au Radical, la liste est longue des titres compromis dans le trafic. Dès 1896, de semblables procédés se développent pour les emprunts étrangers (russes, notamment) ; mais le scandale n'éclatera qu'après guerre, en 1923. À ces sommes s'ajoutent celles des fonds secrets gouvernementaux dont bénéficient des feuilles comme l'Ordre, l'Écho de Paris ou l'Opinion.

D'une guerre à l'autre : la crise d'identité de la presse

Pendant la Première Guerr e mondiale, les journaux, étroitement surveillés par la censure, participent, souvent avec zèle, à la propagande gouvernementale. Dans des quotidiens aux rédactions amaigries par la mobilisation, privés d'informations, réduits, pour des raisons matérielles à un simple recto verso, chroniques militaires, communiqués de l'état-major, informations pratiques, deviennent les genres majeurs. L'éditorial est la forme d'expression où se manifeste avec le plus de fougue l'exaltation patriotique, qui, jointe aux fausses nouvelles et aux « bobards », est bientôt qualifiée de « bourrage de crâne ». Les articles emphatiques de Gustave Hervé, ancien anarchiste brusquement rallié à l'« union sacrée » - en 1916, il transforme sa Guerre sociale en la Victoire -, ou de Maurice Barrès dans l'Écho de Paris sont commentés avec une cruelle ironie dans les publications en expansion à partir de 1916, comme l'Œuvre (Gustave Téry), le Journal du peuple (Henri Fabre) ou le Canard enchaîné (Maurice Maréchal). Les excès, caractéristiques du début de la guerre, ne sont pas sans rapport avec la création, en 1918, du Syndicat des journalistes (SNJ), qui entend notamment doter la profession de règles morales enfin rigoureuses.

Faste pour les journaux de province, l'entre-deux-guerres est une période difficile pour la presse parisienne : les charges s'accroissent (prix du papier, coût du téléphone - devenu un instrument indispensable), le marché publicitaire reste étroit (on craint, du reste, la concurrence de la radio naissante). Il faut pourtant moderniser les structures pour résister aux rivaux. De grandes opérations se traduisent par des échecs retentissants (le Quotidien, l'Ami du peuple). Et tandis que la crise s'installe, la nécessité s'impose d'augmenter le prix au numéro (qui, en moyenne, passe de 10 à 50 centimes en vingt ans).

Néanmoins, on relève durant cette période de nombreux signes de dynamisme et d'innovation, notamment avec les grands hebdomadaires politiques et littéraires conçus par de prestigieuses maisons d'édition : Fayard lance Candide (1924) et Je suis partout (1930) ; Gallimard, Marianne (1932). Gringoire (1928) atteint parfois les 800 000 exemplaires. Mais le grand phénomène de ces années s'appelle Paris-Soir, racheté par l'industriel Jean Prouvost, en 1930. Proposant une mise en page attractive (titres chocs, photographies abondantes, « décrochés »...), renouvelant constamment sa formule, s'entourant d'une équipe solide (Lazareff y forge ses armes), Paris-Soir devient le premier quotidien français à la fin des années 1930 (2 millions d'exemplaires en 1939).

Au moment de la débâcle de 1940, la presse parisienne se replie massivement vers les villes du sud de la Loire. L'armistice signé, la plupart des titres continuent de paraître, acceptant le jeu de la censure et de la propagande. Certains s'installent en zone sud (par exemple, à Lyon, le Figaro partage les locaux du Nouvelliste ; le Temps, ceux du Progrès). Mais plusieurs titres majeurs (le Matin, le Petit Parisien, l'Œuvre) acceptent de revenir à Paris, où s'expriment avec violence les journaux collaborationnistes (le Cri du peuple, Je suis partout, la Gerbe). Parallèlement, les feuilles de la Résistance s'organisent : simples tracts au début, les journaux clandestins, malgré les difficultés de fabrication et de distribution, finissent par présenter les caractéristiques de véritables organes de presse. En 1944, des publications comme Combat ou Défense de la France parviennent à diffuser 250 000 exemplaires.

Service public et loi du marché

Avec la Libération vient le temps de l'épuration. L'État joue alors un rôle éminent dans la reconstruction de la presse. Les ordonnances de 1944 interdisent tous les journaux parus sous contrôle allemand, y compris ceux qui ont poursuivi leurs activités après l'invasion de la zone sud, en novembre 1942. La quasi-totalité de la presse d'avant-guerre disparaît alors ; l'Agence France-Presse, étatisée, remplace Havas ; les messageries Hachette sont mises sous séquestre.

Les nouveaux organes sont liés à la Résistance, tels Combat, Franc-Tireur ou Défense de la France (bientôt transformé en France-Soir, sous la direction de Lazareff). Le Monde naît de la volonté du général de Gaulle en personne, soucieux de fonder un « journal de référence » comme l'était autrefois le Temps. L'ambition de façonner une presse indépendante, débarrassée de la tutelle de l'argent et mise au service du citoyen, est aussi profonde que partagée. Mais le statut de la presse demeurera à l'état de projet.

À l'euphorie de la Libération succède une crise brutale en 1947-1952, qui provoque la disparition de nombreux titres et le retour en force des puissances financières. En 1952, on compte deux fois moins de quotidiens dans la capitale qu'en 1946 (14 contre 28). Tandis qu'Hachette entre dans le capital de France-Soir, le groupe Prouvost rachète la moitié des actions du Figaro (1950), et Marcel Boussac près des trois quarts de celles de l'Aurore (1951). Le phénomène de concentration gagne la province, où se développent les « grands régionaux ».

La presse d'opinion résiste mal à l'assaut des grands journaux d'information, qui finissent par dominer le marché (France-Soir, le Parisien libéré). Cependant, au tournant des années 1950, apparaissent une presse magazine - qui, pour une large part, réussira à survivre (Paris-Match, Elle) - et des hebdomadaires politiques - qui s'illustrent notamment au moment des guerres de décolonisation (l'Observateur, l'Express).