Constitutions révolutionnaires,
premières Constitutions écrites de la France, adoptées en 1791, 1793 et 1795.
Avant la Révolution, le roi est source de tout pouvoir et détient la souveraineté ; non écrites, les « lois fondamentales du royaume », qu'il doit suivre et ne peut modifier, ne sont aucunement assimilables à une Constitution. Mais, à la fin du XVIIIe siècle, dans la continuité des principes émis par les philosophes des Lumières, s'affirme l'idée qu'un État moderne doit posséder une Constitution écrite et rationnelle définissant le statut politique de la nation ; de nombreux cahiers de doléances en réclament la rédaction. Aussi, dès juin 1789, par le serment du Jeu de paume, les députés du tiers état jurent de donner une Constitution écrite à la France, fondée sur les principes de souveraineté de la nation et de séparation des pouvoirs. Après des hésitations, ils décident finalement, lors de la nuit du 4 août, de la faire précéder d'une « Déclaration des droits naturels « (reconnus à tous les êtres humains en tant que tels), qui, « loi fondamentale des lois » (Dupont de Nemours), doit lui servir de base.
Parallèlement aux changements politiques, trois Constitutions et Déclarations des droits sont adoptées pendant la Révolution. Toutes trois ont des points communs : elles rompent avec l'Ancien Régime et marquent la création d'un État démocratique ; mais leurs différences soulignent l'évolution de l'idéal politique révolutionnaire.
La Constitution de 1791.
• La « Déclaration des droits de l'homme et du citoyen », votée par les députés le 26 août 1789, se distingue de ses précédents américains par son caractère d'universalité - qui en fait aujourd'hui encore une référence, en France (Constitution de 1958) comme à l'étranger. Mais la Constitution, rédigée par le Comité de constitution de l'Assemblée, votée par celle-ci le 3 septembre 1791 et acceptée par le roi le 13, viole ces principes fondateurs en distinguant deux types de citoyens, inégaux : les « actifs », qui possèdent les droits politiques, et les « passifs » (pauvres, femmes, domestiques), qui en sont exclus. Dans les colonies, l'esclavage est maintenu et la citoyenneté, refusée aux affranchis.
Le pouvoir législatif est confié à une Assemblée forte de 745 députés élus au suffrage censitaire pour deux ans non reconductibles. Elle ne peut être dissoute par le roi et détient l'initiative des lois et de la révision constitutionnelle. L'exécutif est « délégué » au roi et à ses ministres (non députés), choisis et révoqués par lui. « La personne du roi est inviolable et sacrée », mais son autorité est subordonnée à la loi, expression de la souveraineté nationale : il « ne règne que par elle, et ce n'est qu'au nom de la loi qu'il peut exiger l'obéissance » ; il doit lui prêter serment de fidélité, ainsi qu'à la nation. Il dispose cependant d'un droit de veto suspensif sur les décrets de l'Assemblée. La chute de la monarchie, le 10 août 1792, rend caduque cette Constitution, et une Convention est chargée de rédiger un nouveau texte.
La Constitution de 1793.
• Une « Déclaration des droits » d'inspiration girondine est votée le 29 mai par la Convention : sans préambule ni référence au citoyen dans le titre, elle n'évoque plus les droits naturels mais les « droits de l'homme en société ». Après la chute des girondins, le 2 juin 1793, la Convention « montagnarde » donne priorité à la rédaction de la Constitution, adoptée par les députés le 24 juin. Elle est précédée d'une nouvelle « Déclaration des droits de l'homme et du citoyen », qui affirme que « le but de la société est le bonheur commun » (article 1er) et revient fermement, comme en 1789, aux droits naturels, dont le gouvernement doit assurer la jouissance à l'homme. Les droits à l'instruction, à l'assistance, au travail et de propriété y sont assurés. La souveraineté réside désormais dans le peuple et non plus dans la nation. Le droit de résistance à l'oppression, présent en 1789, est complété par le droit à l'insurrection « quand le gouvernement viole les droits du peuple ». L'esclavage est rejeté car nul homme « ne peut se vendre ni être vendu ».
Cette Constitution donne la prépondérance au législatif, représenté par une Assemblée nationale élue au suffrage universel masculin pour un an. L'exécutif, assez faible, est confié à un Conseil de vingt-quatre membres proposés par les départements sur élection, puis choisis par l'Assemblée. Les citoyens sont associés au pouvoir législatif : la loi est simplement « proposée » par l'Assemblée, puis soumise à la sanction populaire ; si les réclamations sont importantes (ou si un nombre suffisant de citoyens demande la révision de la Constitution), un référendum est organisé.
Après avoir été elle-même soumise à un référendum, la Constitution de 1793, est solennellement acceptée le 10 août 1793, mais elle est enfermée dans une « Arche sainte » par la Convention, et son entrée en vigueur, reportée à la paix. Jamais appliquée, elle représente pourtant un idéal de démocratie pendant et après la Révolution.
La Constitution de l'an III.
• En l'an III (1795), une Commission des onze est chargée d'élaborer des lois organiques pour appliquer la Constitution, tout en modifiant le sens de ses dispositions, jugées trop démocratiques. Or, après l'échec de l'insurrection de prairial - dont le mot d'ordre était « du pain et la constitution de 1793 » -, la Commission décide de rédiger un texte entièrement nouveau, destiné à rompre définitivement avec la période antérieure et à organiser un « pays gouverné par les propriétaires » (Boissy d'Anglas, rapporteur de la Commission). Voté par la Convention le 5 fructidor an III (22 août 1795), il est adopté le 1er vendémiaire an IV (23 septembre 1795) à la suite d'un référendum. Il est précédé d'une « Déclaration des droits et des devoirs » qui rompt avec celles de 1789 et 1793, et qui ne se réfère plus au droit naturel mais aux seuls « droits de l'homme en société ». L'égalité n'est que civile : ferment de révolte potentielle des exclus, l'article 1er de la Déclaration de 1789 disparaît, tout comme les droits à l'instruction, aux secours, de résistance à l'oppression et d'insurrection. En revanche, il est affirmé que « c'est sur le maintien des propriétés que repose [...] tout l'ordre social ». La Constitution rétablit, en outre, le suffrage censitaire et limite les libertés de la presse, d'association, de pétition. La peur de voir un individu ou l'Assemblée prendre trop d'importance (« ni 89 ni 93 ») conduit à fractionner les pouvoirs. Le législatif est confié à deux assemblées élues et renouvelables par tiers chaque année : le Conseil des Cinq-Cents a l'initative des lois et celui des Anciens les adopte ou les rejette. L'exécutif est formé par un Directoire de cinq membres élus par les Anciens sur proposition des Cinq-Cents, renouvelé par cinquième tous les ans, et qui détient d'importantes prérogatives (politique étrangère, exécution des lois). Cette séparation des pouvoirs est strictement observée : l'exécutif ne peut être renversé par le législatif, qu'il ne peut dissoudre.
Plusieurs fois violée par des coups d'État dus à l'instabilité de la période, la Constitution de l'an III est supprimée après le 18 brumaire an VIII, qui conduit au Consulat.