Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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humanisme (suite)

Marginalisée par de tels cénacles et par l'institution des lecteurs royaux, l'Université l'est également par le succès des collèges. Bien que ces établissements d'un genre hybride, à mi-chemin entre l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur d'aujourd'hui, ne datent pas de la Renaissance, c'est l'humanisme qui leur donne un rôle décisif : la future élite intellectuelle et créatrice du pays est formée par leurs régents. Au collège de Coqueret, sur la montagne Sainte-Geneviève, le philologue Jean Dorat (vers 1508-1588) commente avec ses élèves enthousiastes - Ronsard, du Bellay, Baïf, les futurs poètes de la Pléiade - les grands auteurs de l'antiquité gréco-latine, et s'attache à en révéler les beautés formelles ; au collège de Presles, Ramus (1515-1572) lance un vaste programme pédagogique où l'étude de la philosophie et de la logique, articulée sur la pratique de l'éloquence, bannit toute dispute stérile dans le goût du Moyen Âge finissant.

La pédagogie mise en œuvre dans les collèges et le contenu des enseignements ne sont guère éloignés du processus d'éducation décrit par Rabelais dans Gargantua (1534). L'étude des textes classiques, portant à la fois sur le fond et sur la forme, la complémentarité de la lecture et de la conversation avec les hommes du temps, la formation d'une conscience historique et morale au contact des grands auteurs, tels sont les axes principaux d'une éducation soucieuse de se démarquer des « sorbonistes » et des « sorbonagres ». Avec une remarquable lucidité, Rabelais met l'accent sur les tensions internes - et peut-être les contradictions - d'un tel projet. L'ambition du précepteur rabelaisien se partage, en effet, entre un encyclopédisme très médiéval à certains égards et une dynamique de perfectibilité morale et sociale tout droit issue du Livre du courtisan (1528), de Baldassare Castiglione. Sociabilité policée, nourrie de références néoplatoniciennes, ou « abysme de science » vertigineux ? L'humanisme des années 1520-1530 ne parvient pas à choisir. La génération suivante, celle d'un Montaigne, tranchera dans le sens d'un refus très net de l'encyclopédisme et de l'accumulation des connaissances érudites.

Dans le domaine moral et religieux, l'humanisme tente d'opérer des synthèses et des conciliations qui ne tarderont pas à révéler leurs limites. La coexistence de deux univers spirituels - sagesse païenne et Révélation chrétienne - soulève en effet d'immenses problèmes. À la manière d'Érasme et de son fameux « Saint Socrate, priez pour nous », nombreux sont les humanistes français à tâcher d'harmoniser, avec plus ou moins de bonheur, les deux héritages de l'Occident. Lefèvre d'Étaples ne déclare-t-il pas dans son introduction à l'Éthique à Nicomaque que l'idéal moral d'Aristote annonce par bien des aspects celui du christianisme ? Mais toutes les proclamations de concordance ou de compatibilité ne suffisent pas à masquer la dualité du cadre de référence, et le desserrement de la juridiction religieuse : la redécouverte des courants de pensée antiques amorce une approche naturaliste de l'homme, que rien ne freinera plus désormais. Sans doute ce naturalisme, foncièrement confiant dans la nature humaine, explique-t-il la rupture rapidement consommée entre humanistes et réformateurs. Les uns et les autres ont partagé l'aspiration à une Écriture sainte épurée des vieilles gloses, ils ont stigmatisé les dérives de l'institution monastique, la matérialisation excessive de la liturgie et le poids démesuré de la tradition dogmatique. Si, néanmoins, la plupart des humanistes français n'ont pas adhéré à la Réforme, c'est parce qu'ils ne pouvaient accepter ni les raidissements dogmatiques d'un Luther ou d'un Calvin, ni l'accent mis par les divers courants protestants sur la nature essentiellement pécheresse de l'homme. Durant les années 1520, dans cette courte période qui correspond à la floraison de l'« évangélisme » français, une réforme non schismatique, appuyée par un monarque ouvert et tolérant, semble encore possible : l'humanisme chrétien d'un Lefèvre d'Étaples, relayé par Marguerite de Navarre et Guillaume Briçonnet, s'inscrit dans cette dynamique d'innovations conciliatrices. Mais la politique religieuse de François Ier est trop fluctuante pour laisser à cette tendance une chance de cristallisation. En effet, tantôt le roi opte pour la répression - bûchers de Louis de Berquin en 1529, d'Étienne Dolet en 1546 -, tantôt il suspend les poursuites et nomme un Jean du Bellay, ami des humanistes et protecteur de Rabelais, évêque de Paris. Les tenants les plus fervents d'un christianisme rénové de l'intérieur ne tardent pas à se trouver dans une position intenable : soumis aux volte-face de la politique royale, écartelés entre leur fidélité à l'Église et leur désir de réforme, ils s'attirent la condamnation des deux camps : s'ils sont suspects d'hérésie pour les catholiques, ils apparaissent scandaleusement timorés aux yeux des réformés. Au total, l'humanisme chrétien des années 1520-1530 ne sera pas parvenu à frayer une voie médiane propre à conjurer le déchaînement des antagonismes confessionnels.

L'humanisme en crise ?

La fin du règne de François Ier et celui d'Henri II, marqués par un durcissement de la répression religieuse, assombrissent nettement le climat intellectuel. Si l'accession de Michel de L'Hospital aux fonctions de chancelier, en 1560, semble ouvrir une perspective d'inscription politico-religieuse des idéaux humanistes, l'espoir est rapidement emporté : l'heure n'est ni à la tolérance mutuelle ni aux tentatives de conciliation, et Michel de L'Hospital doit se retirer, impuissant, en 1568. Il faudra attendre 1594 et la publication de la Satire Ménippée (œuvre collective, due, notamment, à Jacques Gillot, Pierre Le Roy, Jean Passerat), après trente années de chaos sanglant, pour que des principes de modération posés par des érudits humanistes entrent en phase avec les mentalités dominantes.

S'il faut parler d'une « crise de l'humanisme » durant la seconde moitié du XVIe siècle, les causes n'en sont pas imputables aux seuls affrontements religieux. L'horizon intellectuel se transforme dans les années 1550-1560. Langue véhiculaire des premières générations de l'humanisme, le latin perd peu à peu de son importance, au profit des langues nationales. L'œcuménisme culturel et les ébauches d'une République des lettres cèdent le pas à une affirmation des spécificités nationales, dont Défense et illustration de la langue française (1549), de Joachim du Bellay, est un vibrant témoignage. D'une manière générale, les grandes perspectives unitaires et syncrétiques esquissées durant les premières décennies du siècle se brouillent ou s'obscurcissent. La synthèse pagano-chrétienne apparaît de jour en jour plus improbable, les « opinions » des sages de l'Antiquité demeurent incompatibles, tandis que les « singularités » décrites par les voyageurs et les cosmographes renvoient l'image d'un monde disloqué en parties autonomes et hétérogènes. Le Quart Livre (1552) et le Cinquième Livre (posthume) de Rabelais se font l'écho de ce sentiment général d'inquiétude et d'instabilité. S'y ajoute un bilan critique des options éducatives de la période précédente : loin d'œuvrer à la formation d'une conscience morale et d'une personnalité originale, l'étude des textes antiques a souvent dégénéré en pure érudition et en pédantisme, substituant un culte vide de la lettre aux studia humanitatis.