Philippe IV le Bel (suite)
Non content de se livrer à des mutations monétaires à peine subreptices, Philippe le Bel a souvent réglé par la force ses problèmes financiers : c'est ainsi qu'ont été spoliés les banquiers lombards, et les juifs en 1306. Dans cette perspective, l'affaire des Templiers acquiert un relief particulier. Les Templiers, qui ont acquis depuis le XIIe siècle des richesses immenses, au point de s'éloigner considérablement de l'esprit originel de l'ordre, sont devenus de véritables banquiers au service des rois de France. Bien que Philippe le Bel n'ait d'abord aucun motif d'animosité contre l'ordre, qui a pris son parti lors du conflit avec Boniface VIII, de telles richesses - d'autant plus excessives que les Templiers n'affrontent plus guère les Turcs en Terre sainte - attisent sa convoitise. Dans le plus grand secret, le procès de l'ordre et la confiscation de ses biens sont décidés par le Conseil du roi. Le 13 octobre 1307, les membres de l'ordre, à commencer par Jacques de Molay, son grand maître, sont arrêtés et inculpés d'hérésie. L'instruction de l'affaire donne lieu à une querelle entre le pape et le roi ; pour faire approuver son action, ce dernier convoque à Tours, en mai 1308, une assemblée de notables - souvent qualifiée, abusivement, d'états généraux. Le très long procès qui s'engage alors contre les Templiers est teinté d'une évidente partialité. Il débouche sur la suppression de l'ordre par une bulle pontificale du 3 avril 1312. Jacques de Molay est d'abord condamné à la prison perpétuelle, puis brûlé vif en 1314, après rétractation de ses aveux arrachés sous la torture. L'affaire offrirait un nouveau témoignage, s'il en était besoin, de l'influence qu'exerce le roi de France sur le pape : bien que Clément V n'ait vraisemblablement pas partagé l'acharnement de Philippe le Bel et se soit montré plein de scrupules durant le procès, il s'est soumis au souverain, auquel il doit son élection. Aux termes du jugement, l'immense fortune des Templiers est confiée en garde à l'ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Mais la couronne de France en prélève au passage une part considérable, et les commissaires du roi annulent toutes les dettes du Trésor envers les Templiers. L'opération, au total, s'est révélée fort profitable pour les caisses de l'État.
Une figure déconcertante
Au moment où le roi s'éteint, le 29 novembre 1314, après avoir été frappé d'une attaque lors d'un accident de chasse, le climat général du royaume s'est considérablement assombri. La disette, les troubles monétaires et le poids insupportable de la fiscalité royale cristallisent la colère populaire ; des émeutes antifiscales ont d'ailleurs lieu au cours des années 1313-1314, tandis que les récriminations des grands féodaux s'accumulent et aboutissent à l'organisation d'une menaçante confédération. Dans la dernière année du règne, dit Michelet, surgit « une demande de démembrement », une « réclamation du chaos ». À quoi s'ajoute un scandale domestique, dénoué d'une manière sanglante qui frappe tous les esprits : deux gentilshommes accusés d'être les amants des belles-filles du roi, Marguerite, femme de Louis le Hutin, et Blanche, femme de Charles le Bel, sont pendus après avoir été soumis à d'atroces tortures, tandis que les deux princesses sont emprisonnées. Cette accumulation d'événements familiaux et sociaux donne une coloration dramatique à la fin du règne. Les chroniqueurs rapportent que l'impopularité du roi était devenue telle, à sa mort, qu'on eut beaucoup de peine à faire chanter dans les églises pour le salut de son âme.
Philippe le Bel reste, au fond, une figure quelque peu déconcertante et énigmatique. « Ni un homme ni une bête, une statue », dit l'un de ses contemporains dans une formule demeurée célèbre. Les détracteurs n'ont pas manqué, à commencer par Dante, qui, dans la Divine Comédie, stigmatise ce « nouveau Pilate » capable de bafouer « les plus saints décrets ». S'il n'est guère possible ni fécond de sonder la psychologie du souverain, nous pouvons aujourd'hui, grâce aux nombreux travaux des historiens, prendre une mesure plus objective de ce règne et l'inscrire à sa juste place dans l'histoire de la royauté : entaché de pratiques douteuses ou arbitraires, il n'en constitue pas moins un moment essentiel dans le processus d'affirmation - encore fragile - de l'État moderne.