février 1934 (journée du 6), (suite)
La manifestation.
• Le soir du 6 février, des groupes et ligues d'extrême droite, mais aussi des mouvements d'anciens combattants - représentés notamment par la puissante Union nationale des combattants (UNC) et par l'Association républicaine des anciens combattants (ARAC), proche du Parti communiste -, ainsi que de simples mécontents sans appartenance politique clairement définie convergent vers la place de la Concorde et la Chambre des députés. Les motivations des manifestants sont des plus diverses : les anciens combattants entendent surtout exprimer leur indignation et, peut-être, dans le cas de l'UNC, apporter un soutien moral aux ligues ; les Croix-de-Feu du colonel de La Rocque semblent avoir pour but de faire une démonstration de force ; les ligues d'extrême droite, quant à elles - Action française, Jeunesses patriotes, Solidarité française -, cherchent délibérément l'affrontement pour mettre fin au « régime du profit et du scandale » (dans leurs tracts, les Jeunesses patriotes appellent leurs militants à « aller au Parlement crier leur manière de voir »).
La manifestation est plus violente que les précédentes : aux habituels jets de pavés s'ajoutent les incendies de kiosques à journaux et d'autobus. Dès 17 heures, la Garde républicaine barre le pont de la Concorde pour empêcher toute invasion du Palais-Bourbon. Mais, vers 19 heures 30, des coups de feu sont échangés. Arrivé avec ses Croix-de-Feu boulevard Saint-Germain vers 20 heures 45, le colonel de La Rocque ordonne à sa colonne, qui n'a pas participé aux affrontements, de se disperser. Après cette accalmie de courte durée, l'émeute reprend de plus belle jusque vers 2 heures 30 du matin, et les forces de l'ordre ouvrent le feu sur les manifestants. Le bilan est lourd : selon les chiffres officiels, 15 morts, dont 14 parmi les membres des trois ligues activistes, et 328 blessés hospitalisés.
Les conséquences de la nuit d'émeute.
• Le 7 février, Daladier, qui a obtenu la veille un vote de confiance par 360 voix contre 220, est contraint à la démission : seul Léon Blum l'exhorte à résister. La droite revient aux affaires : Gaston Doumergue est président du Conseil. Pour la première fois dans l'histoire de la IIIe République, un gouvernement cède devant la pression de la rue. Les militants de gauche, qui voient dans l'émeute un complot fasciste, aspirent à l'union afin de contrer ce danger ; mais, en raison des réticences des états-majors des partis, la riposte s'effectue d'abord en ordre dispersé. Le 9 février, les communistes appellent à une grande manifestation, dirigée à la fois contre les ligues et contre le gouvernement, et qui, en raison de la réaction policière, donne lieu à des affrontements très violents. La CGT lance, pour le 12, un mot d'ordre de grève générale, auquel s'associe la CGTU (communiste), tandis la SFIO organise un vaste défilé, au cours duquel on voit les cortèges socialiste et communiste fusionner. Ces rapprochements annoncent l'alliance des forces de gauche que sera le Front populaire.
Mais si, dans l'imaginaire politique de la gauche, l'existence d'un fascisme français ne fait aucun doute, plusieurs interprétations des événements du 6 février 1934 ont été fournies : pour l'historien israélien Zeev Sternhell, la dérive fasciste des ligues explique en grande partie la violence de l'émeute ; à l'inverse, pour Raoul Girardet et pour Serge Berstein, on ne saurait parler que d'un « fascisme diffus » - c'est-à-dire d'une utilisation, par les ligues, des formes extérieures du fascisme sans que la doctrine fasciste elle-même eût été reprise. Cependant, tous s'accordent à considérer la journée du 6 février 1934 comme l'expression paroxystique de l'antiparlementarisme français.