Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Giscard d'Estaing (Valéry), (suite)

Celle-ci, on le sait, vint plus tôt que prévu, en raison de l'interruption du mandat de Georges Pompidou. Quand ce dernier meurt le 2 avril 1974, Valéry Giscard d'Estaing entre en lice. Au premier tour des nouvelles élections présidentielles, il distance nettement le candidat gaulliste, Jacques Chaban-Delmas. Certes, la médiocre campagne de celui-ci, affaibli de surcroît par la défection d'une partie de l'UDR à l'initiative de Jacques Chirac, a favorisé ce décrochage. Mais les qualités propres du candidat, la notable différence d'âge avec les autres prétendants, ont joué un rôle décisif. Le second tour s'annonce serré. En effet, la montée en puissance électorale de l'union de la gauche depuis 1972, la dynamique créée autour de la candidature unique de François Mitterrand, l'amorce d'un changement de conjoncture économique pénalisant les équipes politiques sortantes, autant de handicaps que l'ancien ministre des Finances de Georges Pompidou doit surmonter. Là encore, la campagne est brillante, et Valéry Giscard d'Estaing sort à son avantage d'un face-à-face télévisé, premier du genre en France : la mémoire collective a retenu deux petites phrases alors assenées à François Mitterrand, « homme du passé » n'ayant pas « le monopole du cœur ».

Dans un second tour d'élection présidentielle marqué par la participation la plus massive de toute l'histoire, jusque-là, de la Ve République (12,66 % d'abstention), 400 000 voix seulement séparent les deux hommes, et Valéry Giscard d'Estaing est élu président de la République le 19 mai avec 50,81 % des suffrages exprimés.

Dès sa déclaration de prise de fonctions, le 27 mai, le nouveau président a placé son action sous le signe du changement. Et, de fait, cette déclaration d'intentions est rapidement suivie d'effet : majorité à 18 ans et libéralisation de la contraception adoptées dès le mois de juin, loi sur le divorce par consentement mutuel en juillet, loi Veil sur l'interruption volontaire de grossesse votée en janvier 1975 grâce à l'appui des parlementaires de gauche. Si l'élan initial est donc incontestable, la « stagflation » croissante de l'économie française, les divisions à l'intérieur de la majorité, la poursuite de la montée électorale de la gauche sont autant de facteurs qui contribuent à placer progressivement le président en position défensive. De ce fait, les thèmes de la décrispation et du consensus que Valéry Giscard d'Estaing avait placés en exergue au début du septennat se trouvent bientôt singulièrement inopérants.

On saisit mieux, à tout prendre, les multiples contradictions dans lesquelles il s'enferma peu à peu. Élu alors qu'il était porteur d'un projet centriste, il eut un septennat borné par deux élections présidentielles totalement « bipolarisées ». Ministre gestionnaire au temps des Trente Glorieuses, il parvint au sommet quand celles-ci s'étiolaient. Mais, comme le changement de conjoncture fut perçu de façon différée, il dut, de surcroît, rendre des comptes électoraux à propos d'une crise qui dépassait largement ses seules responsabilités. Partisan proclamé de réformes, il fut stoppé dans son élan par la dégradation de la situation économique mais aussi par des blocages politiques au sein de sa majorité qu'il ne put ou ne sut dénouer. Si l'on ajoute un déficit d'image publique croissant dû à des « affaires », telle celle dite « des diamants de Bokassa », et une inaptitude à empêcher une dégradation accélérée, il y a probablement là, par-delà même les rapports de force politiques au seuil des années quatre-vingt, l'une des clés de la défaite de 1981. Le jeune président de 1974 s'est muré sept ans plus tard dans une attitude ressentie comme hautaine, qui n'a fait qu'agrandir le fossé avec une partie de l'opinion française.

Un automne précoce.

• Sans doute faut-il voir dans cette incompréhension réciproque la cause d'une fracture qui ne fut jamais réduite par la suite. L'homme a confessé, des années après, dans ses Mémoires, le sentiment d'injustice qu'il éprouva au moment de l'échec et la difficulté qui fut la sienne à s'en remettre. Certes, le deuil politique ne dura, en apparence, que quelques années : député du Puy-de-Dôme en septembre 1984, président du conseil régional d'Auvergne deux ans plus tard, il conduit la liste UDF-RPR aux élections européennes de 1989. L'année précédente, il est devenu président de l'UDF. Mais jamais l'ancien chef de l'État n'est parvenu à reconquérir pleinement le soutien de l'opinion. En 1988, il ne peut, de ce fait, entrer dans l'arène électorale au moment de l'élection présidentielle. De façon significative, ce sont ses deux anciens Premiers ministres, Jacques Chirac et Raymond Barre, qui portent les couleurs de la droite. Et sa longue présidence (1988-1996) à la tête de l'UDF ne lui donne pourtant pas suffisamment de poids politique pour tenter une dernière candidature à la présidentielle de 1995.

Ultime échec, chargé par  le conseil européen d'élaborer une constitution européenne, il voit son projet rejeté par l'électorat français lors d'un référendum en 2005.

Le personnage, en fin de compte, continua après 1981 à déconcerter les Français. Si l'âge et les épreuves politiques contribuèrent progressivement à lui conférer une attitude jugée moins hautaine, il ne put plus jamais mettre au service d'un rôle de tout premier plan des qualités intellectuelles et une habileté politique demeurées exceptionnelles. Comme pour brouiller encore davantage les cartes, il ne s'en tint pas après 1981, dans le domaine littéraire, au registre, classique pour un ancien chef de l'État, des Mémoires (le Pouvoir et la vie) ou de l'essai. Il publia en 1994 un roman, le Passage, qui connut, certes, un succès public, mais reçut aussi un accueil goguenard de la critique littéraire. Il est néanmoins élu à l'Académie française en décembre 2003. L'épisode est révélateur : en littérature comme en politique, seule l'ingratitude et, donc, l'injustice pourraient, selon lui, expliquer son échec. Ce qui renvoie à cet aveu fait à plusieurs reprises à des journalistes après la défaite de 1981 qui changea le cours de sa vie : « je croyais avoir bien fait. Je n'ai pas vu venir mon échec. » Valéry Giscard d'Estaing, ou l'itinéraire d'un surdoué trop confiant en ses dons ?