Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Trente Glorieuses (les). (suite)

Cette transformation n'a pas été sans débat. En 1945, la traduction de Tropique du Cancer, d'Henry Miller, déclenche un scandale. Cette ode à la libération sexuelle, publiée en France mais interdite au États-Unis, ne dit-elle pas la puissance subversive de la sexualité ? L'image de la famille et du mariage commence à changer. La pratique du concubinage se répand : 17 % des couples en 1969, 37 % en 1974 - avec des taux plus élevés en milieu urbain. Le taux de divorce croît très sensiblement (1 pour 16 mariages en 1925, 1/11 en 1946, 1/8,5 en 1972), sur un rythme que l'on peut mettre en parallèle avec le recul significatif de la pratique religieuse, en passe de devenir une « position culturelle » (Dominique Borne) et non plus - ou plus seulement - la manifestation d'une croyance stricto sensu. Autant d'éléments qui permettent de souligner les progrès d'une philosophie de la vie refusant toute codification du bonheur personnel ou familial.

Outre la libération sexuelle et l'évolution de la représentation de la famille, l'image de la femme est sans doute l'un des plus puissants leviers de cette révolution des mœurs. Le débat ouvert par l'ouvrage de Simone de Beauvoir, le Deuxième Sexe (1949), ne se refermera plus. Les femmes acquièrent une autonomie jusqu'alors inconnue et un statut qui rompt avec l'image dominante de la « mère au foyer », au long d'un processus jalonné par l'accession au droit de vote (1944), la libération représentée par l'aide de l'électroménager, l'apparition d'émissions TV spécifiques (les Femmes aussi, 1964), la vague féministe des années 1960-1970, etc.

Un « nouvel homme » ?

Les Trente Glorieuses constituent une indéniable « accélération » de l'histoire qui transforme l'identité de la société française. Partant de la métamorphose de l'économie, de l'accroissement rassurant et régulateur du rôle de l'État, de la pression démographique et urbaine, de la modification du tissu socioprofessionnel et social, de l'amélioration des conditions et de la transformation des modes de vie, la période 1947-1975 constitue un temps euphorique et « glorieux », qui favorise, selon l'expression de Jean Fourastié, l'émergence d'un « nouveau type d'homme ». Fondé sur les gains de la prospérité, sur le recul d'un certain nombre de contraintes physiques et temporelles, il permet la diffusion d'une philosophie de la vie nettement dégagée, par rapport à la première moitié du XXe siècle, du poids envahissant des contraintes matérielles quotidiennes et des conditions de travail. Bien au-delà des métamorphoses économiques, un profond fossé sépare donc la société de l'après-guerre de celle des années 1970. La victoire du modernisme, l'avènement et la célébration de la société de consommation et du bien-être, la révolution du temps libre et des loisirs, les progrès de l'individualisme et la mue des comportements, l'idéal en partie réalisé de la mobilité sociale, sont passés par là. Considérés comme des conquêtes définitives, ils instituent une nouvelle hiérarchie des valeurs socioculturelles et déterminent une rupture fondamentale avec l'image d'une société figée dans laquelle les statuts sociaux constitueraient une norme immuable. Sans doute peut-on parler de l'affirmation d'un système social du « mouvement » dont témoignent, parmi bien d'autres exemples, l'image de la voiture, des vacances, de la télévision, la libération des mœurs. Ce droit au « mouvement » renforce - et est renforcé par - l'émergence de nouveaux imaginaires sociaux. L'homme au miroir de lui-même n'est plus le même. En définitive, selon l'expression de Jean-Pierre Rioux, la société édifiée par les Trente Glorieuses semble avant tout avoir favorisé la recherche d'une « éternelle adolescence ».

Après 1975, cette philosophie optimiste et conquérante se heurte à la crise. Cependant, on peut postuler qu'elle constitue toujours une part non négligeable du socle des représentations du bonheur individuel et collectif, tant a été grande la force d'imprégnation de la révolution socioculturelle des Trente Glorieuses.

Trésor de l'épargne,

principale caisse des finances monarchiques à partir du règne de François Ier.

À la fin du Moyen Âge, le roi de France - ainsi que certaines principautés telles la Bretagne ou la Bourgogne - a plusieurs fois recours à une « épargne » comme caisse de réserve. Mais c'est en 1523 que le Trésor de l'épargne naît véritablement, dans un contexte de grave crise militaire et financière. François Ier cherche alors à mieux contrôler les fonds et à en accélérer la collecte. D'abord conçu pour recevoir les recettes extraordinaires et casuelles (mars 1523), puis destiné à centraliser tout l'argent du roi (décembre 1523), le Trésor de l'épargne recueille finalement, à partir de 1524, l'argent du domaine - celui du Trésor royal du Moyen Âge - et celui des impôts, désormais considérés comme des recettes ordinaires. Le trésorier de l'Épargne devient le principal « caissier » de la monarchie et les autres comptables lui sont subordonnés. Il rend compte chaque semaine, au Conseil du roi, de l'état des fonds. L'office devient alternatif sous Henri II, puis triennal sous Louis XIII. Par un édit d'avril 1664, pris dans le cadre de la réorganisation financière qui suit la suppression de la surintendance, le Trésor de l'épargne est remplacé par le Trésor royal, dénomination qui reprend celle du Moyen Âge. Celui-ci est géré par deux commissaires généraux dits « gardes du Trésor », dont la commission devient un office en 1689.

Trésor royal,

organe financier de la cour du roi au Moyen Âge. Il se détache peu à peu de la cour et s'affirme tant que les ressources du roi proviennent du domaine royal.

À l'origine, le camérier, un proche du roi chargé de la Chambre royale, avait la haute main sur les objets de valeur, la vaisselle d'or et d'argent ainsi que le butin des Mérovingiens et des Carolingiens. Par la suite, la monarchie des premiers Capétiens dispose de revenus beaucoup plus réduits. Ces derniers reposent essentiellement sur les recettes du domaine royal, ensemble de possessions, de seigneuries et de droits divers encore concentrés au XIIe siècle dans le centre du Bassin parisien, mais que les rois de France accroissent au fil de leurs conquêtes. Le chambellan, l'un des plus importants officiers de l'Hôtel du roi, surveille la gestion des agents locaux et a la charge de la caisse de l'Hôtel, conservée au XIIIe siècle dans la tour du Louvre. Louis VII (1137/1180) finit par confier aux Templiers, qui sont les principaux financiers du royaume, la garde du Trésor royal. En échange de cette garantie, les moines-soldats soutiennent de leurs prêts la monarchie. La Chambre des comptes, émanation de la cour du roi, surveille les dépenses et les recettes des Templiers. Toutefois, en 1295, Philippe IV le Bel récupère la gestion directe du Trésor royal, et donc de revenus du royaume de plus en plus importants. Enfin, son fils Philippe V installe définitivement au Louvre le Trésor royal (1317), qui est désormais géré uniquement par des officiers royaux. L'administration du domaine devenant de plus en plus complexe, différents trésoriers sont chargés de la gestion des Finances, chacun dans une partie du royaume à partir de Charles VII (1422/1461). À leur tête, le trésorier de France contrôle l'ensemble des revenus et a la garde du Trésor. Dans le courant du XIVe siècle, les trésoriers s'entourent d'un personnel qualifié de plus en plus nombreux. Par ailleurs, devant la multiplication des conflits fiscaux, est instituée la Chambre du Trésor (1390), chargée de régler les contentieux. À partir du XVe siècle et avec l'instauration de recettes fiscales permanentes, les impôts nouveaux tels que le fouage ou la taille échappent au Trésor royal. Ils sont désormais du ressort des généraux des Finances et des receveurs généraux des Finances. À partir de 1523-1524, ces receveurs généraux doivent envoyer leurs fonds au Trésor de l'épargne, chargé désormais de les centraliser.