La plus longue des Républiques que la France a connues - 1870-1940 - ne bénéficie pas toujours d'une excellente réputation.
Le souvenir, trop souvent, s'attarde sur les scandales (Panamá ou Stavisky) qui l'ont éclaboussée, sur l'instabilité de ses gouvernements, sur la faible efficacité de son système parlementaire. D'autres reproches concernent son incapacité à résoudre la « question sociale » et son attachement à l'individualisme libéral, générateur de sclérose et de conservatisme. Pourtant, les valeurs de la IIIe République - les libertés, l'égalité devant la loi, la laïcité, mais aussi la solidarité -, lentement acclimatées pendant ces soixante-dix ans, représentent un héritage plus que jamais vivant, même si le contexte social est aujourd'hui différent.
Fondation et consolidation (1870-1893)
La République ne s'impose qu'au terme d'un long combat, mené au cours des années 1870. Durant les années 1880, les républicains, victorieux, forgent le système juridique et institutionnel caractéristique de la IIIe République. Vers 1890, celle-ci semble bien enracinée et des reclassements politiques majeurs s'opèrent.
La genèse (1870-1875).
• Discrédité par sa défaite dans la guerre franco-allemande, le Second Empire s'écroule brutalement le 4 septembre 1870, lors d'une journée dont le déroulement s'inscrit dans la tradition révolutionnaire : après avoir proclamé la déchéance du souverain au Palais-Bourbon, les députés républicains, accompagnés d'une foule de manifestants, se rendent à l'Hôtel de Ville de Paris et y proclament la république. Mais les tenants du nouveau régime ne forment pas un front uni : aux modérés, soucieux d'éviter tout débordement révolutionnaire, tel Jules Favre, s'opposent des républicains avancés, plus sensibles au souvenir de la tradition jacobine, comme Léon Gambetta. Ce dernier, après avoir quitté Paris investi par les Prussiens à partir du 19 septembre, organise en province la défense nationale, tandis que le nouveau gouvernement est confronté, dans la capitale assiégée, à l'agitation de l'extrême gauche qui réclame, dans la tradition de 1793, une dictature révolutionnaire et la guerre à outrance en vue de chasser l'envahisseur.
La capitulation de Paris permet la tenue d'élections générales le 8 février 1871. Les électeurs, qui assimilent le parti républicain à la poursuite de la guerre, désignent une Assemblée nationale dominée par une majorité « conservatrice », c'est-à-dire royaliste. Cette assemblée met en place un exécutif dirigé par Adolphe Thiers, vieil homme d'État venu de l'orléanisme, qui appelle plusieurs républicains modérés à siéger dans son gouvernement. Entre l'Assemblée nationale, à majorité monarchiste, qui décide au début de mars de siéger à Versailles, et les révolutionnaires parisiens, appuyés sur une large fraction de la population de la capitale, le conflit est inévitable. Le féroce écrasement de la Commune de Paris, au cours de la Semaine sanglante (21-28 mai 1871), puis les nombreuses condamnations (à mort, aux travaux forcés ou à la déportation) prononcées par les conseils de guerre laminent le courant révolutionnaire.
L'hypothèque révolutionnaire levée, le moment semble venu pour Thiers, confirmé dans ses fonctions de chef de l'État le 31 août 1871, de proposer l'instauration d'une « république conservatrice ». La majorité de l'Assemblée nationale le contraint toutefois au départ, le 24 mai 1873, et tente de procéder à la restauration de la monarchie, sous l'égide du nouveau président, le maréchal de Mac-Mahon, et du duc de Broglie, nommé vice-président du Conseil. Favorables dans leur ensemble à l'« Ordre moral » (un système social fondé sur le respect des croyances et de l'ordre hiérarchique traditionnels), les monarchistes sont pourtant divisés sur la nature du régime politique à mettre en place : les « légitimistes » - partisans du comte de Chambord, prétendant au trône issu de la branche aînée des Bourbons - s'opposent aux « orléanistes » - qui soutiennent le comte de Paris, descendant de Louis-Philippe. Les seconds, au contraire des premiers, ne sont guère favorables à une trop forte influence de l'Église catholique sur la vie politique et sont en outre profondément attachés au régime parlementaire.
Ces divergences et l'intransigeance du comte de Chambord (qui refuse de renoncer au drapeau blanc de ses ancêtres) aboutissent à l'échec de la restauration monarchique (octobre 1873). Dès lors, une majorité centriste se dessine, formée des orléanistes les plus modérés et des républicains ralliés à une solution de compromis sur le plan institutionnel : le 30 janvier 1875, par 353 voix contre 352, l'amendement Wallon est adopté, qui prévoit l'élection du président de la République par le Sénat et la Chambre des députés. Les lois constitutionnelles de 1875 visent à instituer un véritable régime parlementaire - la responsabilité ministérielle est affirmée, mais le président dispose de l'arme de la dissolution. Elles créent deux chambres : la Chambre des députés, élue au suffrage universel direct, et le Sénat, au suffrage indirect. En effet, sur 300 sénateurs, 75 - inamovibles - sont élus par l'Assemblée nationale de 1871, et les 225 autres par un collège électoral au sein duquel les représentants des communes rurales (réputés conservateurs) sont les plus nombreux. Doté des mêmes prérogatives que la Chambre, le Sénat doit avoir pour rôle essentiel de freiner les élans « irréfléchis » résultant du suffrage populaire.