Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
S

sorcellerie. (suite)

Les sorciers devenus « faux »

À la fin du XVIIe siècle, la sorcellerie devient un « faux crime » en France à la suite d'un édit royal de 1682 qui entérine des doutes longtemps exprimés par les parlementaires parisiens et par d'autres juges.

Durant les persécutions, deux univers culturels parallèles se sont mieux définis, par opposition. Celui des élites sociales du pays obéit désormais de plus en plus au sens de l'impossible cartésien, en attendant les triomphes de la raison au siècle des Lumières. Pour ses membres devenus sceptiques, la sorcellerie n'est qu'une chimère, une sorte de folie qu'il convient davantage de soigner que de réprimer. Il faut cependant faire la part du crime, c'est-à-dire celle de la duplicité de certaines personnes utilisant la faiblesse d'esprit ou les croyances magiques pour arriver à leurs fins. L'autre monde mental demeure celui des vieilles « superstitions » villageoises. Si les bûchers ne s'allument plus pour exterminer de prétendus adeptes de Satan, sorciers et désenvoûteurs ont en effet repris leur place respective dans l'univers paysan, s'y enracinant jusqu'à nos jours.

Magie et sorcellerie des temps contemporains

L'une des conséquences des bûchers fut de séparer nettement la sorcellerie populaire des nombreuses variantes savantes du phénomène. Méprisée ou raillée, la première se trouve réduite aux anciennes traditions culturelles d'un univers paysan qui se rétracte d'ailleurs comme une peau de chagrin à la fin du XXe siècle. Ces pratiques considérées comme « superstitieuses » sont donc désormais le domaine d'étude d'ethnologues appliqués à constituer un musée imaginaire de formes en voie de rapide disparition. La Bretagne, qui ignora la chasse aux sorcières, on l'a vu, constitue un terrain de recherche privilégié en ce domaine.

La magie savante ou urbaine, quant à elle, a pris des formes très diversifiées depuis le XVIIIe siècle. Les progrès de la science ont fait reculer certaines d'entre elles, comme l'hermétisme ou l'alchimie. Celle-ci reçoit ainsi un coup mortel de la chimie de Lavoisier dans les dernières décennies du XVIIIe siècle. Les manipulations opérées par Cagliostro ou par le comte de Saint-Germain, deux aventuriers du siècle des Lumières, contribuent à discréditer, aux yeux des gens cultivés, les phénomènes magiques en les liant à une crédulité excessive. Mais d'autres membres des couches sociales supérieures conservent jusqu'à nos jours un profond attachement au merveilleux et à l'onirique. Fondateur de la théorie du magnétisme animal, le médecin allemand Franz Anton Mesmer (1734-1815) attire les gens bien nés autour de son baquet guérisseur. La reine Marie-Antoinette l'autorise même à ouvrir une « clinique magnétique », avant que ses nombreux ennemis ne réussissent à le faire exiler. Victor Hugo, le préhistorien Boucher de Perthes ou le médecin Charles Richet se passionnent pour le spiritisme et font tourner les tables afin d'entrer en contact avec les âmes des disparus. Le Lyonnais Léon Rivail (1804-1869), sous le pseudonyme d'Allan Kardec, crée une véritable doctrine et une association, dotée d'une Revue spirite, qui aurait plus d'un million d'adeptes en Europe à la mort du fondateur. À la fin du XIXe siècle, l'hypnotisme est utilisé comme thérapeutique par Charcot (1825-1893), à l'hôpital de la Salpêtrière. Certaines des femmes traitées de cette manière avouent qu'elles ont feint l'hystérie, ce qui contribue à réduire par la suite l'hypnotisme au rang de phénomène de foire.

Ces éléments disparates sont souvent éloignés de la sorcellerie proprement dite. Ils attestent pourtant la permanence d'un attachement des Français de la fin du deuxième millénaire à l'idée qu'il est possible d'agir sur les forces invisibles. Horoscopes, boules de cristal, « clés des songes » font toujours recette, et pas seulement auprès d'un public peu cultivé. Ils se rattachent à l'oniromancie à but prophétique ou guérisseur. Le chemin de la croyance magique à la sorcellerie passe en effet par le désir d'influer sur son propre destin ainsi révélé. Nombreux sont ceux qui laissent lire leur avenir dans les lignes de la main, ou pratiquent des « techniques » magiques diverses, comme la radiesthésie en vue de découvrir des trésors cachés. Il y a trois siècles, de tels faits auraient attiré sur eux l'attention des voisins, peut-être celle des tribunaux à la suite d'une dénonciation. La sorcellerie, au fond, n'est-elle pas fondée sur des désirs inassouvis ? Désirs de richesse, de puissance, de vengeance, rêves amoureux, inquiétude face à l'avenir ou au vieillissement trouvent là les meilleurs canaux pour s'exprimer. Éminemment adaptable, cette sorcellerie se greffe aisément sur la culture de chaque époque, parce qu'elle donne l'espoir d'agir sur ce qui dépasse l'être humain. En témoignent d'abondance, à la fin du XXe siècle, les cabinets de désenvoûtement qui imitent ceux des médecins, la divination assistée par ordinateur, les sectes offrant leur réconfort moral au prix du marché capitaliste et parfois de la vie humaine. Le démon moderne se fait médiatique, à la télévision, dans la presse à sensation ou au cinéma. La vague hollywoodienne de la dernière décennie du deuxième millénaire le voit déferler sur tous les continents, en particulier sous la forme du Vampire ou du Mal cybernétique. Manières de tenter de l'exorciser ?

Sorel (Agnès),

favorite du roi de France Charles VII, fille de Jean Sorel, seigneur de Saint-Géran en Touraine (Fromenteau, Touraine [ou Froidmantel, Picardie], vers 1422 - près de Jumièges, Normandie, 1450).

C'est à Toulouse, en 1444, qu'Isabelle de Lorraine, femme du Roi René, présente sa demoiselle d'honneur, Agnès, à Charles VII. Elle en devient la maîtresse. Des tableaux de l'époque où l'on croit reconnaître ses traits, notamment la Vierge à l'Enfant de Jean Fouquet, volet d'un célèbre diptyque (vers 1452), décrivent un visage gracieux. Olivier de La Marche dira n'avoir jamais vu femme plus belle. Charles VII lui ayant offert le château de Beauté-sur-Marne, Agnès est surnommée « la Dame de beauté ». Tolérée par la reine Marie d'Anjou, elle règne sur la cour dès 1444 et donne quatre filles à son royal amant. Quoique son ascendant ait été longtemps exagéré, son influence sur le roi fut réelle. Décriée par les uns pour ses toilettes audacieuses, célébrée par les autres pour sa charité, elle est surtout fustigée, voire détestée, à cause de ses interventions qui aboutissent au renvoi de conseillers ou à la promotion d'hommes tels que Jacques Cœur ou Pierre de Brézé. Ce dernier est emprisonné en 1461, à l'avènement de Louis XI, preuve du ressentiment dont font l'objet les protégés d'Agnès. Celle-ci a sans doute poussé Charles VII à l'action à la fin de la guerre de Cent Ans, pour reconquérir la Normandie. C'est d'ailleurs en le rejoignant dans cette province qu'elle meurt subitement, après avoir donné naissance à une fille. Jamais probablement on ne saura si la rumeur disant que le dauphin Louis (futur Louis XI) la fit empoisonner est fondée. En revanche, il est certain que la première des favorites officielles de l'histoire de France a durablement marqué les esprits, à cause d'une légende forgée autour d'un souvenir très passionnel.