Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Bretagne, (suite)

Le règne de Jean V (1399/1442) apporte un retour à la paix, d'autant plus apprécié que sévit alors la guerre de Cent Ans, qui s'étend parfois, il est vrai, jusqu'à Nantes ou Rennes. La Bretagne continue à se dépeupler, mais elle souffre infiniment moins que le reste du royaume. En outre, Jean V mène une politique d'indépendance, grâce à la création d'institutions étatiques solides, à un mécénat munificent (Notre-Dame du Folgoët, par exemple) et à une neutralité diplomatique qui permet de nouer des relations avec la plupart des souverains d'Europe occidentale. La création de l'université de Nantes, en 1460, renforce encore ce qui n'est pourtant que rêve d'indépendance.

La disparition du duc de Bourgogne, Charles le Téméraire, en 1477, fait en effet basculer définitivement le rapport de forces en faveur du roi de France. Le coût de la politique d'indépendance, la résistance d'aristocrates qui ont déjà des intérêts auprès du puissant souverain, la faiblesse du duc François II, font le reste. En 1485, le trésorier du duché, Pierre Landais, symbole de la volonté d'indépendance, est abandonné à son sort par le duc : les injures dont le couvrent les Nantais, et sa pendaison au terme d'un procès inique, marquent tout autant la fin du duché que les défaites militaires subies devant les troupes royales en 1488 (Saint-Aubin-du-Cormier) et en 1491. Anne, héritière du duché, doit épouser le roi Charles VIII, puis Louis XII, et sa fille Claude se marie avec François Ier. En 1532, la Bretagne est définitivement réunie à la France. Le titre ducal disparaît en 1547, lorsque le dauphin Henri, duc de Bretagne, accède au trône de France.

De l'âge d'or au déclin ?

• L'intégration au royaume se déroule relativement bien, grâce à l'exceptionnelle prospérité que connaît la Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles. Cet âge d'or est celui d'une agriculture remarquablement diversifiée, d'une industrie métallurgique puissante pour l'époque et, surtout, d'une industrie toilière qui exporte partout en Europe occidentale et en Amérique ses « crées » et « bretagnes » de lin fin, et ses toiles de chanvre pour les voiles et les emballages. Le XVIe siècle voit l'apogée des rouliers des mers bretons, qui font vivre une centaine de ports dans la province. Cette fortune permet un épanouissement artistique, dont témoignent les admirables enclos paroissiaux, les centaines de retables baroques, les milliers de manoirs et quelques grands monuments tel le Palais du parlement à Rennes.

À la fin du XVIIe siècle, la Bretagne totalise presque 10 % de la population du royaume, mais la dispersion de la production et du capital, la politique guerrière de Louis XIV, préjudiciable au commerce, affectent profondément l'économie : c'est cette crise que traduisent la grande révolte des Bonnets rouges et les émeutes urbaines du Papier timbré (1675). La fortune se concentre désormais de plus en plus dans les mains de la noblesse et des bourgeoisies marchandes - à Saint-Malo, à Nantes, voire à Lorient, grâce à la Compagnie des Indes. C'est l'époque du commerce antillais et de la traite négrière, qui assurent la richesse de Nantes au XVIIIe siècle ; l'époque aussi du « désert » de campagnes devenues souvent misérables ; de conflits aigus entre les privilégiés du parlement, soutenus par la noblesse - parfois bien maladroitement, comme dans le cas du complot de Pontcallec (1718) -, et unpouvoir royal affaibli. Des bourgeois plus sûrs d'eux-mêmes, des nobles plus attachés que jamais à leurs privilèges, une paysannerie en grande difficulté : tels sont, à grands traits, les caractéristiques de la Bretagne à la veille de la Révolution.

Une identité menacée mais préservée.

• Les bourgeois savent utiliser en 1789 la concordance partielle des aspirations paysannes avec les leurs, mais les nobles et une très large part du clergé mobilisent assez facilement ces paysans, les mêmes parfois, autour de la question religieuse. La force de la chouannerie procède de cet enjeu et du refus d'une conscription perçue, ici plus qu'ailleurs, comme un arrachement à sa terre pour aller défendre de trop lointaines frontières.

Les violences de 1793-1794 - du massacre des républicains par les vendéens à Machecoul aux fameuses noyades de Carrier à Nantes -, l'empreinte qu'elles laissent dans la mémoire collective (chansons, monuments, lieux de culte populaires aussi) font trop oublier cependant l'expansion réelle du XIXe siècle. Il est vrai que le commerce maritime décline, que l'effondrement de l'industrie textile entraîne de terribles conséquences dans les campagnes, et que 500 000 Bretons quittent la région dans la seconde moitié du XIXe siècle. Pourtant, la population augmente sensiblement, grâce à la modernisation de l'agriculture, fruit de la lente diffusion de multiples progrès techniques, et au développement d'industries comme la conserverie nantaise ou les chantiers navals de Saint-Nazaire, où les frères Pereire implantent la Compagnie générale transatlantique en 1861.

Ces particularités locales de la croissance au XIXe siècle doivent être soulignées, car l'image de la Bretagne d'alors est celle d'une province exotique et d'une culture en voie de marginalisation. L'extraordinaire « reconstruction » cléricale, qui marque de son empreinte tous les aspects de la vie, au moins dans les campagnes, n'est pas étrangère à cette originalité, qui s'accompagne d'un début de folklorisation : vogue du voyage en Bretagne, installation plus ou moins durable d'artistes, notamment à Pont-Aven, où Gauguin arrive en 1886, recueil savant de chansons populaires menacées de disparition par La Villemarqué (Barzaz Breiz, 1839), puis Luzel. C'est alors aussi que le français commence à être perçu comme le moyen indispensable de la promotion sociale, aux dépens du breton.

L'autre grande phase de modernisation, entre 1945 et 1975, résout cet apparent contraste entre réalités matérielles et culture. Le dynamisme agricole, fortement porté par les coopératives, la création d'une industrie de pointe (électronique, espace), l'influence croissante d'Ouest-France, devenu dans les années soixante-dix le premier quotidien français par sa diffusion, le renouveau d'un mouvement culturel breton qu'avait fortement affecté la dérive collaborationniste entre 1940 et 1944 : tous ces facteurs transforment profondément la Bretagne. La vogue de la musique bretonne, à partir des années soixante-dix, les grandes luttes écologiques (le procès qui suit la marée noire de l'Amoco Cadiz, en 1978, mobilise l'opinion jusqu'en 1992), l'engouement nouveau pour la mer et le patrimoine maritime, l'évolution simultanée des comportements électoraux, rapprochent la Bretagne du reste de la France, tout en affirmant une identité originale, fortement ressentie et assumée par ses habitants.