Pompidou (Georges), (suite)
Ce sont les événements de 1968 qui accélèrent le processus et lui donnent une issue brutale. Durant la tempête de mai, Georges Pompidou tient bon, et, après la dissolution de l'Assemblée nationale, il mène la campagne électorale avec maestria : le 23 et le 30 juin, c'est une véritable « Chambre introuvable » qui sort des urnes. Pourtant, quelques jours plus tard, c'est Maurice Couve de Murville qui est nommé Premier ministre. Dans ses souvenirs, Georges Pompidou écrira : « Je me sentis blessé. » La blessure va encore s'élargir à l'automne suivant, au moment de l'affaire Markovic : sur un fait divers - l'assassinat d'un Yougoslave, ancien garde du corps d'Alain Delon - est venue se greffer une tentative pour discréditer, à coups de photographies truquées, l'épouse de Georges Pompidou et, à travers elle, l'ancien Premier ministre. Celui-ci s'estime alors peu soutenu par le général de Gaulle, et, comme l'a écrit son biographe Éric Roussel, désormais « le lien quasi filial est définitivement rompu ».
Dès lors, Georges Pompidou se met « en réserve de la République ». À plusieurs reprises, il déclare qu'il sera un jour candidat à l'élection à la présidence de la République, « lorsqu'il y en aura une ». Cela ne l'empêche pas de faire campagne avec loyauté pour le « oui » au référendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat. On sait ce qu'il en fut : le 27 avril 1969, c'est le « non » qui l'emporte, et, dès le lendemain, le général de Gaulle cesse d'exercer ses fonctions .
Le septennat inachevé.
• Malgré les grincements de dents de quelques barons du gaullisme et le silence du général de Gaulle - qui n'a adressé à son ancien Premier ministre qu'une lettre, où son soutien était exprimé sans aucune chaleur -, Georges Pompidou obtient le ralliement du parti gaulliste et des Républicains indépendants de Valéry Giscard d'Estaing. Le 15 juin 1969, il triomphe aisément de son adversaire du second tour, le président par intérim Alain Poher.
Au fil des années suivantes, son histoire se confond une fois de plus avec celle de la Ve République. On n'en retiendra ici que quelques traits. L'élément probablement le plus éclairant est cette tension, déjà perceptible auparavant, entre un réel souci de modernisation et une tendance conservatrice qui, apparemment, va se développer avec l'âge et la maladie. La modernisation est doublement présente dans les desseins initiaux. Une modernisation économique, tout d'abord. Autant son prédécesseur affectait une indifférence pour ces aspects jugés subalternes - « l'intendance suivra » -, autant Georges Pompidou entend hisser cette France portée par la vague des « Trente Glorieuses » au rang des puissances industrielles de premier plan : la priorité accordée à certaines branches - l'aéronautique, par exemple -, l'encouragement donné au processus de concentration des entreprises françaises, sont autant de symptômes, parmi d'autres, de cette volonté d'ajouter ainsi à la « grandeur » nationale - un thème gaulliste par prédilection.
Il y a aussi, au début, un réel souci de modernisation sociale : le pays a changé au fil des années 1960, il faut en prendre acte. Était-ce un sentiment profond, ou un simple souci tactique dans la France de l'après-mai 68 ? Les historiens en discutent encore. Toujours est-il que l'appui du président au projet de « nouvelle société » de son Premier ministre Jacques Chaban-Delmas est d'abord sans réserve. C'est par la suite, à mesure que se rapprochent les élections législatives de 1973, que la volonté de resserrer les rangs de la majorité et de ne pas heurter l'électorat de cette majorité conduit à un infléchissement très net. Celui-ci est symbolisé, en juillet 1972, par le remplacement de Jacques Chaban-Delmas par Pierre Messmer. Certes, les élections de mars 1973 sont gagnées, mais la fin du quinquennat est marquée par ce qui apparaît bien comme un coup de frein donné aux réformes.
La maladie du président - dite « de Waldenström », une forme très rare de leucémie - joua-t-elle un rôle dans ce tournant ? Il est difficile, rétrospectivement, de peser au trébuchet les facteurs d'une telle évolution politique et d'en préciser le calendrier. La tendance conservatrice qui se développa sur le tard fut, tout au plus, activée par la maladie. Elle préexistait, et l'âge autant qu'un certain scepticisme à l'égard des hommes jouèrent probablement un rôle encore plus important. Toujours est-il qu'à partir de 1973 le mauvais état de santé de Georges Pompidou - bouffi en raison des traitements médicaux - devient visible. « Dans ma famille, on ne se couche que pour mourir », aurait-il déclaré en ces mois de lutte contre la maladie et la douleur. On connaît la suite : la mort a le dernier mot, le 2 avril 1974. Une telle mort en exercice entraînera un débat. Faut-il la transparence totale pour ce qui relève du plus intime, c'est-à-dire la maladie d'un président ? Et peut-on continuer à gouverner quand on est devenu un grand malade ? L'histoire retiendra surtout que le seul président qui a promis la transparence totale en la matière, François Mitterrand, a violé sa promesse dès la publication du premier communiqué de santé à l'automne 1981. L'iniquité, pour l'historien, serait de juger les douze années que Georges Pompidou passa aux plus hautes marches de l'État à l'aune d'une fin de règne aux teintes crépusculaires.