République (IVe). (suite)
L'amorce de la reprise
L'indice de la production industrielle de 1948 est supérieur à celui de 1938. Début 1949, le pays entre dans des eaux plus calmes : reconstruction, relèvement des rations, vente libre des voitures, réouverture à l'économie de marché. Les pleins effets de la relance économique se feront sentir en 1951-1952, mais c'est bien la fin de dix années de privations. La France est au travail. Le plein emploi rassure. Le projet d'union nationale pour la modernisation et l'expansion réunit les volontés.
Le premier plan (1947-1952), mis au point par Jean Monnet (charbon, électricité, acier, ciment, transport, tracteurs : 30 % du secteur industriel), porte ses fruits. Toutefois, sans l'aide extérieure du plan Marshall, la France n'aurait pu « ni relever ses ruines, ni rattraper son retard, ni amorcer son expansion » (René Rémond). Grâce à elle, les objectifs majeurs sont atteints : croissance industrielle, gain de productivité des secteurs clés (électricité, acier), modernisation de la SNCF, balance extérieure excédentaire, libéralisation des échanges avec l'OECE. Restent des faiblesses : l'inflation n'a pas été jugulée, la priorité à l'industrie lourde a retardé l'équipement en infrastructures (logement, route), l'agriculture n'a été soutenue que par le plan tracteur. Progrès et retards favorisent un virage à droite de la « troisième force » et l'affirmation de l'antidirigisme à partir de 1949.
Impasse coloniale et guerre froide
Sous d'autres horizons se joue une partition fatale : la crise coloniale. Dix ans avant de mourir de la guerre d'Algérie, la IVe est presque unanimement intégrationniste, alors que le fossé ne cesse de s'élargir entre la métropole et les colonies.
En Indochine, dès le déclenchement de la lutte entre l'armée française et les nationalistes vietnamiens (décembre 1946), la guerre prend des allures de cause perdue, et coûteuse. Pourtant, seule une partie des intellectuels de gauche réclame la fin de la « sale guerre » et la reconnaissance du pouvoir d'Hô Chi Minh (la France a transféré ses pouvoirs à Bao Dai, en 1949). Le conflit franco-vietnamien constitue, en outre, un enjeu dans le duel Est-Ouest. En Afrique du Nord, la crise est larvée depuis les massacres de Sétif et de Guelma, en Algérie (1945). Les nationalismes nord-africains s'exacerbent. Quant à la crise malgache de 1947-1948, elle débouche sur une répression faisant plus de 11 000 morts (le chiffre de 89 000 victimes a même été avancé).
Une autre difficulté est l'absence d'étanchéité entre vie politique intérieure et relations internationales. La IVe a ratifié le pacte Atlantique en juillet 1949. La guerre froide, conjuguée et déplacée en France par la puissance du PCF et les enjeux de la guerre d'Indochine, accentue la portée de ce choix, qui entraîne les récriminations des neutralistes et des communistes, et, par exemple, le succès de l'appel de Stockholm contre l'armement nucléaire (18 mars 1950). Au total, le débat politique français est soumis à la pression déstabilisante et stérilisante du duel Est-Ouest. Mais il n'en reste pas moins que certains acteurs de la IVe font aussi preuve de volontarisme, mettant en œuvre une politique extérieure qui ne traduit pas un alignement sur les positions américaines. En témoigne l'européanisme de Monnet et de Schuman, qui promeuvent la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), en 1951.
L'équilibre impossible et le virage à droite
Entre 1946 et 1951, tour à tour, six présidents du Conseil - Ramadier, Schuman, Marie, Queuille, Bidault et Pleven - dirigent neuf courts gouvernements. Les majorités de circonstance divorcent « à l'italienne » dès qu'une question épineuse exacerbe les clivages à l'intérieur de la « troisième force », qui se passe bientôt des services des ministres socialistes (démissionnaires en février 1950, sous Bidault). Aussi, afin d'affaiblir le RPF et le PCF sur l'échiquier politique, de contrecarrer les effets de la sécession socialiste et de dégager une majorité mieux assise et plus durable, une réforme électorale est-elle adoptée pour les législatives de juin 1951. Elle a pour principal objet de désavantager les isolés et les francs-tireurs, grâce au système des « apparentements ». La manœuvre aboutit. Ainsi, avec 11 points de moins que le PCF (15,3 %), la SFIO obtient plus de sièges (107) que lui (103). Au sortir du scrutin, la « troisième force » dispose d'une majorité théorique de plus de 350 élus.
Au reste et sur le fond, force est de constater que le paysage politique demeure scindé en six parts, entre RPF, PCF, SFIO, Indépendants (les libéraux se sont regroupés sous cette étiquette à partir de 1949), MRP, et l'ensemble formé par les radicaux et l'Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR). Mais ces élections constituent bien une charnière : droite et centre droit sont redevenus majoritaires, et c'est dans un contexte de querelle scolaire (latente depuis 1949) que devra se jouer la succession du second gouvernement Queuille (mars-juillet 1951). En août, René Pleven est désigné, après plusieurs semaines de crise ministérielle, et dirige le gouvernement jusqu'en janvier 1952. Il représente l'aile conservatrice de l'UDSR, une origine politique qui souligne une inflexion vers la droite après la cure de centrisme de 1949-1950 - tendance que renforce l'adoption des lois Marie et Barangé (extension du système des bourses et des aides à la scolarité pour le privé), sur fond de grève des enseignants, de hausse des prix et d'enlisement en Indochine. Progressivement, la IVe République glisse à droite, avec Pleven, puis avec le radical Edgar Faure (janvier-février 1952), et l'indépendant Antoine Pinay (mars 1952-janvier 1953), qui met un terme à l'histoire de la « troisième force ».
Pinay et le centre droit : l'espoir du recours
La scission du groupe RPF à l'occasion de l'investiture de Pinay souligne une nouvelle métamorphose de la IVe République. À bien y regarder, la renaissance du clivage gauche-droite (compliqué de tensions internes aux familles politiques) a au moins une incidence majeure : elle clarifie la situation. Il n'en reste pas moins que le gouvernement Pinay est lui aussi le fruit d'un « bricolage majoritaire » ; on parle d'« expérience Pinay », puis de l'« expérience Mendès France ». « Expérience », c'est un peu la métaphore de la IVe République.