dit le Père Enfantin, ingénieur et réformateur socialiste (Paris 1796 - id. 1864).
Après des études à l'École polytechnique, puis diverses expériences professionnelles à travers l'Europe (négoce des vins, banque), Enfantin se fixe à Paris en 1823. La lecture du Catéchisme des industriels le sensibilise au saint-simonisme, dont il devient un fervent adepte. Passionné par les questions d'économie politique et de spiritualité, il engage la transformation de la doctrine saint-simonienne en une église dont il devient « Père », avec Saint-Amand Bazard, en décembre 1829. Un an plus tard, il participe à l'acquisition du Globe, journal d'opposition libérale. Peu à peu se forme autour de lui une communauté dont les membres, vêtus de bleu, sont séduits par son éloquence. La question de la femme prend une place croissante dans sa pensée : il appelle à son émancipation et la présente comme la prophétesse de la religion nouvelle. Ces théories entraînent le schisme de Bazard (1831), suivi de quelques autres. Enfantin décide alors de mettre en pratique la fraternité saint-simonienne, et fonde au printemps 1832 un monastère à Ménilmontant. Toutefois ses écrits et ses expériences communautaires le conduisent en cour d'assises pour infraction à la loi sur les associations et outrage aux mœurs ; malgré le sermon bienveillant qu'il adresse à ses juges dans son costume de « Père suprême », il est condamné à un an de prison. À sa sortie, à l'automne 1833, il s'embarque pour l'Égypte avec une douzaine de fidèles, espérant à la fois y trouver la « Mère » et convaincre Méhémet Ali de percer un canal à Suez. C'est un double échec.
Isolé à son retour en France en 1837, Enfantin participe à une mission décevante en Algérie (1839-1841), avant de s'engager avec enthousiasme dans l'aventure du chemin de fer et de devenir administrateur d'une compagnie. Il n'abandonne pas pour autant son projet de percement d'un canal dans l'isthme de Suez : il fonde à cet effet en 1846 une Société d'études avec des ingénieurs français, anglais et allemands. L'accession de Louis Napoléon Bonaparte au pouvoir, puis la proclamation du Second Empire le persuadent que le contexte est enfin favorable à la réalisation de son rêve. Il fait cause commune avec Ferdinand de Lesseps, mais ce dernier l'écarte après avoir obtenu en 1854 la concession du canal. Enfantin se lance alors de nouveau dans les affaires, écrit (la Vie éternelle, 1858 ; la Science de l'homme, 1861), projette de fonder un Crédit intellectuel, décide en 1863 de rassembler les archives saint-simoniennes. Même s'il ne conserve plus à cette date qu'une poignée de fidèles que son enthousiasme et son obstination continuent à séduire, sa pensée trouve des échos parmi les théoriciens de l'utopie ou les ingénieurs saint-simoniens du Second Empire.