Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
C

Carolingiens. (suite)

Sans doute le projet mûrit-il dans les toutes dernières années du VIIIe siècle, à la fois à la cour franque d'Aix-la-Chapelle, où Charles a réuni les élites intellectuelles de l'Europe chrétienne, et à la cour pontificale, où le pape Léon III, malmené par une opposition farouche, cherche le soutien d'une force temporelle énergique et dotée des moyens juridiques d'intervenir à Rome pour le rétablir dans la plénitude de son autorité. C'est semble-t-il à l'occasion de la rencontre des deux hommes à Paderborn, en 799, qu'est décidée la renovatio Imperii. Ainsi, le 25 décembre 800, dans la basilique (donc sur le tombeau) de saint Pierre de Rome, Léon III couronne Charles empereur, suivant un rituel inspiré de celui qui est encore en usage à Byzance, capitale de l'Empire romain d'Orient. Malgré les protestations byzantines mettant en avant l'exclusivité de la légitimité impériale, il suffit à Charles d'une opération d'intimidation pour que les Byzantins reconnaissent, en 812, sa nouvelle dignité. Et, l'année suivante, Charles peut la transmettre lui-même, lors d'une cérémonie qu'il organise et dirige à Aix-la-Chapelle, à Louis (dit « le Pieux »), seul survivant de ses fils légitimes, qui lui succède à sa mort, en 814.

Assurément, le titre impérial confère au pouvoir carolingien un éclat et des responsabilités nouveaux que Charles, puis Louis dans les premières années de son règne, assument pleinement, conseillés par un entourage composé d'un nombre croissant de clercs. La royauté, et plus encore l'Empire, apparaissent alors comme des fonctions dévolues par Dieu lui-même à leur titulaire, qui doit se charger ici-bas de préparer le salut dans l'au-delà de la société chrétienne qui lui est confiée. Toute la législation carolingienne, surtout contenue dans des capitulaires (actes législatifs partagés en capitula, ou petits chapitres), exprime le souci que chacun connaisse les devoirs et respecte les règles de vie de l'ordo auquel il appartient - ordre des moines, ordre des clercs, ordre des laïcs. La loi se fait normalisatrice, imposant la même règle - dite « des chanoines » - au clergé des cathédrales (réforme conduite par étapes, depuis les années 750 jusqu'au concile d'Aix de 816) et la même règle - celle de saint Benoît - à tous les monastères de l'Empire (réforme préparée par Charlemagne, et parachevée par Louis le Pieux en 817). Chacun, moine, clerc ou laïc, se doit de respecter la paix sociale et de satisfaire aux exigences religieuses et morales qui sont les siennes. Et, pour que chacun en soit informé, il est apparu indispensable au législateur (dès le capitulaire de 789, appelé Admonitio generalis) de diffuser par l'école les instruments de base de la connaissance.

Pour mieux contrôler le corps social, les premiers Carolingiens ne se contentent pas de nommer, comme par le passé, les comtes, les évêques et les abbés des grands monastères (leur choix fut d'ailleurs judicieux), de les faire inspecter par des missi dominici, ou de leur demander des rapports d'activité ; ils font des liens de fidélité personnelle un moyen de gouvernement. Charlemagne incopore dans sa propre vassalité tous les puissants de la société franque, parmi lesquels se recrutent les comtes, les évêques, les abbés ; il leur impose ainsi un système de dépendance personnelle qui exige d'eux, non plus seulement le service public dû à l'État, mais un service privé de tous les instants, infiniment plus contraignant, dû à sa propre personne. Cette confusion entre service public et engagement privé était extrêmement dangereuse. Efficace sous un prince fort et conquérant comme Charlemagne, qui drainait les énergies et récompensait les fidélités, elle va s'avérer catastrophique dans les périodes de faiblesse royale : alors, les grands seront tentés de monnayer leur fidélité, et de s'approprier ce qu'ils en considèrent comme la rémunération, à savoir leurs honores (c'est-à-dire leurs charges publiques et les revenus qu'ils en tirent). C'est ce qui ne manque pas de se produire quand la famille royale commence de s'entre-déchirer.

La dislocation de l'unité carolingienne

Louis le Pieux s'est occupé de sa succession dès les premières années de son règne personnel. Par l'ordonnance de 817, il a associé son fils aîné Lothaire à la dignité impériale et lui a promis sa succession, ne concédant aux deux puînés qu'une royauté déléguée, pour l'un (Pépin) en Aquitaine, pour l'autre (Louis) en Bavière : l'unité impériale paraît préservée. Mais, en 823, quand Louis a un fils d'un second lit, Charles, et qu'il veut lui constituer un royaume, il déclenche un soulèvement général - des clercs de son entourage (soucieux de l'unité de l'Empire), des fils aînés (qui s'estiment lésés) et de nombre d'aristocrates (qui n'acceptent pas la rupture du précédent engagement). En 830 s'ouvrent ainsi treize années de guerres civiles, au cours desquelles Louis le Pieux est un temps déposé par ses fils, et qui donnent lieu à plusieurs renversements d'alliances et à la rédaction de divers traités et projets de partage en contradiction les uns avec les autres. Finalement, Pépin étant mort en 838 et Louis le Pieux en 840, les trois fils survivants concluent le traité de Verdun (843), qui partage l'empire de Charlemagne en trois lots à peu près égaux (Francie occidentale à Charles, dit « le Chauve » ; Francie médiane à Lothaire ; Francie orientale à Louis, dit « le Germanique »). Il ne reste plus grand-chose de l'esprit de l'ordonnance de 817, car, si Lothaire conserve le titre impérial, la royauté de ses frères est désormais pleinement souveraine. En outre, son lot, étiré de la mer du Nord à l'Italie, est le plus vulnérable, sans unité géographique ni linguistique. Or c'est lui qui meurt le premier, en 855 : le partage de son héritage entre ses trois fils et la dévolution de la couronne impériale à celui d'entre eux qui ne règne que sur l'Italie jettent un peu plus de discrédit sur l'idée d'Empire, et aiguisent la convoitise de Louis le Germanique et de Charles le Chauve, qui dépècent la Lotharingie, royaume de leur neveu Lothaire II, mort sans héritier légitime en 869.