Alsace,
région de l'est de la France, séparée de l'Allemagne par le Rhin, et des autres départements français par la ligne de crête des Vosges.
Confinant à la Suisse, au sud, et au land de Rhénanie-Palatinat, au nord, l'Alsace est à tous égards un pays « d'entre-deux », soumis à la double influence du monde germanique et du monde roman. Longtemps écartelée entre la France et l'Allemagne, qualifiée parfois de province peuplée d'Allemands, mais perçue aussi comme un modèle de patriotisme, elle constitue aujourd'hui une région formée de deux départements : le Haut-Rhin et le Bas-Rhin.
Dès la fin du dernier siècle avant notre ère, l'Alsace est le théâtre d'incessantes invasions qu'expliquent sa position frontalière. L'invasion des Suèves, menés par Arioviste, nécessite l'intervention victorieuse de Jules César en 58 avant J.-C. Après une longue période de paix romaine et de prospérité économique, la région est dévastée au IVe siècle par les Alamans. Trois siècles plus tard, le nom d'« Alesaciones » apparaît pour la première fois dans les textes ; aujourd'hui encore, son origine reste obscure, et sa signification, controversée. Conquise par les Mérovingiens, puis par les Carolingiens, l'Alsace devient le champ clos des guerres de succession : après le serment de Strasbourg (842) et le traité de Verdun (843), qui l'intègrent à la Lotharingie, le traité de Mersen (870) lie son destin au futur Saint Empire romain germanique, auquel elle restera attachée jusqu'en 1648.
De l'Empire germanique au royaume de France.
• Le Moyen Âge voit essor urbain et avènement d'un mouvement d'autonomie politique coïncider : afin de résister au joug des seigneurs et des évêques, dix villes d'Alsace s'allient et constituent, en 1354, la ligue de la Décapole. En dépit du morcellement féodal, et grâce à sa position de carrefour, l'Alsace connaît un brillant développement, tant économique que spirituel. Elle devient à la Renaissance l'un des hauts lieux de l'humanisme - les savants affluent de toutes parts - et s'impose comme foyer de diffusion de la Réforme (Johannes, dit Jean, Sturm). À l'issue des guerres de Religion, les deux cinquièmes des habitants sont de confession luthérienne. Pendant la guerre de Trente Ans, l'Alsace connaît à la fois massacres, misère et dépeuplement. En 1648, les traités de Westphalie marquent le début du basculement de l'Alsace dans l'orbite de la France. Intendants et armées complètent l'annexion et l'achèvent par la prise de Strasbourg (1681), tandis que l'introduction du droit français unifie le pays. Au XVIIIe siècle, l'influence française se renforce dans les villes et auprès des 650 000 habitants, dont le dialecte germanique, aux nuances infinies, demeurait la langue. Durant ce siècle de prospérité économique, l'Alsace s'industrialise (manufactures de textile à Mulhouse), et l'agriculture connaît un remarquable essor, mais le régime douanier demeure celui d'une « province à l'instar de l'étranger effectif ».
La Révolution suscite, dans un premier temps, l'adhésion de la population : celle des protestants est telle que leur Église parvient, dans un premier temps, à préserver ses biens. À destination des habitants de Kehl - la ville allemande qui leur fait face outre-Rhin -, les Strasbourgeois placent la célèbre pancarte : « Ici commence le pays de la liberté ». La Marseillaise, composée à Strasbourg par Rouget de Lisle (1792), participe de la même ferveur. Mais la menace de l'invasion étrangère et l'opposition du clergé catholique entraînent les excès de la Terreur : Saint-Just assimile les coutumes et l'idiome local à une trahison. Il faut attendre la chute du gouvernement révolutionnaire pour que le climat social s'apaise et que les églises soient rendues aux cultes catholique et protestant. Sous l'Empire, le développement économique assure une popularité durable au régime, d'autant que Napoléon laisse aux recrues l'usage de l'alsacien pourvu qu'elles « salvent en français ». Après le déferlement des troupes alliées en 1814, les notables protestants boudent la Restauration ... mais soutiennent la monarchie de Juillet. L'esprit républicain progresse ; les élections au suffrage universel, à partir de 1848, révèlent une spécificité alsacienne qui durera plus d'un siècle : les effets du clivage confessionnel. Les protestants votent alors « rouge », et leurs élites sociales s'opposent à Napoléon III. Mais la région se concentre avant tout sur son essor économique : les industries textiles et chimiques font de Mulhouse le centre le plus important de France, tandis que le chemin de fer de Mulhouse à Thann est l'une des premières lignes du pays.
Une terre disputée entre l'Allemagne et la France.
• Amputée, après la défaite de 1870, du futur Territoire de Belfort, demeuré français, l'Alsace, annexée par le Reich allemand, forme, avec une partie de la Lorraine, le Reichsland Elsass-Lothringen, directement administré par Berlin mais appartenant à tous les États confédérés du Reich. Ses élus protestent d'abord auprès du gouvernement français contre cet abandon (Bordeaux, 1871), puis auprès du conquérant (Reichstag, 1874) : protestation ambiguë, car les catholiques s'opposent surtout au Kulturkampf, alors qu'une partie des protestants s'accommode des conséquences de la guerre. Un dixième des habitants quitte cependant la région pour s'installer en France ou en Algérie. Commence alors, malgré des fluctuations et des éclipses, une longue période durant laquelle l'Alsace occupe une place privilégiée dans le cœur des Français. De la passion revancharde à la nostalgie folklorique, toutes les attitudes se manifestent et cristallisent les formes les plus diverses du sentiment national. Littérature, dessin et caricature jouent un rôle essentiel dans ce processus : en témoignent, en France, la popularité des récits et romans d'Erckmann-Chatrian (l'Ami Fritz, Histoire d'un paysan) ainsi que les illustrations naïves et satiriques de Hansi, vecteurs d'une mythification des provinces perdues. À partir des années 1880-1890, la protestation recule. Tandis que les socialistes privilégient les revendications sociales, le temps et la germanisation des écoles érodent peu à peu le souvenir de l'identité française. Simultanément, le Reich concède aux Alsaciens une participation croissante au pouvoir et octroie une Constitution et un Landtag, dont la Chambre basse est élue au suffrage universel (1911). La réforme ne débouche pas pour autant sur l'instauration d'un État autonome, semblable aux autres États allemands. Le système des partis est alors calqué sur celui du Reich : un parti catholique, des courants libéro-protestants, un parti social-démocrate (SPD), et un conservatisme protestant très faible. En une période où les Alsaciens sont surtout soucieux de paix et ne remettent plus en cause le fait accompli, plusieurs facteurs semblent faciliter l'assimilation au Reich : la naissance du mouvement culturel alsacien, une législation moderne (y compris dans le domaine social), ainsi qu'un développement économique et urbain remarquable (Strasbourg passe de 85 000 habitants en 1871 à 178 000 en 1910).