Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
Z

Zola (Émile), (suite)

Sa position sur l'argent et le capitalisme est nuancée. D'un côté, il adhère à l'idéologie du capitalisme conquérant, qui répond à sa propre volonté d'ascension sociale et à sa mythologie personnelle. Il peint deux personnages, deux capitaines d'aventures, deux « poètes du million », qu'il admire : Saccard, l'homme d'affaires, et Mouret, le patron du grand magasin « Au Bonheur des dames ». « Agir, créer, se battre contre les faits, les vaincre ou être vaincu par eux, toute la joie et toute la santé humaine sont là », fait-il dire au second. De l'autre, il déplore les conséquences souvent désastreuses, les deuils, les morts, qu'entraînent les krachs boursiers, la politique des grands travaux, la « lutte pour la vie » forcenée, l'exploitation capitaliste.

Il ne fait pas œuvre d'historien, affirme-t-il souvent. Il transpose au niveau poétique, en se moquant volontairement des anachronismes, les grandes mutations du XIXe siècle que sont la naissance de l'âge industriel, l'émergence des masses, le développement des grandes villes et de leurs faubourgs, l'essor du capitalisme. Il choisit de décrire l'émergence d'une civilisation où l'homme réalise des choses étonnantes et souvent bénéfiques, mais où il est, nouvel apprenti sorcier, souvent broyé par les forces qu'il met en place, qu'il ne veut pas ou ne peut pas contrôler : machines, foules, ambitions, pouvoir, désirs. Zola peint une société menacée d'explosion sous l'effet de multiples tensions.

Sa sympathie et sa pitié vont au peuple des faubourgs, aux travailleurs qu'il montre exploités par le capital-Minotaure à l'image des mineurs du Voreux, aux laissés-pour-compte du système, aux vieux ouvriers abandonnés quand ils ne sont plus bons à rien, comme le père Bru ou Gervaise dans l'Assommoir. Il réfléchit au régime capable de diffuser les progrès de la science, les avancées technologiques, les richesses que l'on peut admirer dans les Expositions universelles, en vue du bien-être et du bonheur de tous.

Un républicain convaincu.

• Par tradition familiale, par expérience très réelle de la pauvreté, par tempérament, Zola est républicain. Il l'est surtout par conviction : la République, pense-t-il, est dans la logique de l'Histoire. Le mouvement démocratique issu de 1789 est irréversible.

Sous le Second Empire, c'est un opposant. Il n'a jamais été invité, comme les Goncourt ou Flaubert, aux Tuileries, à Compiègne, ou chez la princesse Mathilde. Il n'a jamais été séduit, comme d'autres, par l'Empire libéral. Dès 1860, il déplore les iniquités sociales : cette indignation affective prend un contenu politique à partir de 1863-1864, et surtout de 1868, au contact de journalistes d'opposition. Il publie - dans la Tribune, le Rappel, la Cloche - des articles en prise directe sur l'actualité, mais sans réellement commenter les événements, se bornant à une réaction globale, plus sentimentale qu'analytique, souvent très polémique. Il met en question la légitimité de Napoléon III, critique sa politique - intérieure et extérieure -, fustige les profiteurs qui entourent l'empereur, offrant ainsi, de la société impériale, une vision volontairement partielle ou partiale.

Après la chute de l'Empire, il dit son amertume à voir les « boutiques républicaines » se disputer le pouvoir. « Nous mourons de politique, de cette politique tumultueuse et encombrante que la bande des médiocres, affamés de bruit et de places, ont intérêt à entretenir, pour y pêcher en eau trouble » (« Les trente-six Républiques », le Figaro, 27 septembre 1880). Il est pris de pitié à voir Gambetta « en proie à sa terrible bande, qui fait à la fois sa force et sa misère. [...] L'Empire a été dévoré par ses créatures. M. Gambetta le sera par les siennes. C'est la loi constante » (« Esclaves ivres », 29 août 1881). Contre le règne des médiocres et des ambitieux, il appelle de ses vœux un gouvernement des « hommes supérieurs », mettant en application la « politique expérimentale », « s'appuyant sur les faits », « tenant compte de la race, du milieu et des circonstances », aidant « simplement l'évolution naturelle des sociétés, sans vouloir les plier violemment à un idéal quelconque ».

La grande loi de l'évolution.

• Zola croit au progrès, à la marche en avant de l'humanité, malgré les obstacles et les arrêts inévitables. Aussi dénonce-t-il ce qui peut contrarier l'évolution, dérégler le bon fonctionnement, le bon équilibre de l'organisme qu'est la société. Loin de hâter le processus de l'évolution, la révolution le gêne. Elle est dangereuse. Comme tous ses contemporains, Zola a été durablement marqué par la Commune.

Il stigmatise extrémismes et dogmatismes, de quelque ordre qu'ils soient. Selon lui, les habiles peuvent faire du peuple un instrument redoutable, qui échappe vite à tout contrôle. Il a peur des meneurs, des beaux parleurs au savoir mal digéré, qui manipulent la générosité, la naïveté, l'ignorance. Il dénonce le nationalisme ultra-catholique, militariste et raciste, forces de réaction menaçant la République contre lesquelles il est parti en guerre en s'engageant pour Dreyfus. En novembre 1897, il écrit un premier article dans le Figaro pour défendre l'action menée par le vice-président du Sénat, M. Scheurer-Kestner, en faveur du capitaine déporté en Guyane. Le 13 janvier 1898, paraît dans l'Aurore son célèbre « J'accuse... ! », une adresse publique au président de la République qui lui vaut une condamnation à une année d'emprisonnement (peine qu'il ne purge pas en s'exilant à Londres pendant près d'un an).

Rêve d'avenir.

• « Le grand fait du XIXe siècle est l'avènement de la démocratie. » Une double poussée marque l'histoire contemporaine : le développement de la science, « seule révolutionnaire », le « seul facteur certain du progrès, de la justice et du bonheur » ; le développement de la liberté de pensée. Les héros de l'avenir seront le savant et l'instituteur laïque, le « semeur d'hommes », grâce auxquels pourra être créée la cité de paix, de liberté, de justice et de fraternité, les quatre grandes valeurs qu'il incombe désormais à la France de porter en Europe. Déjà le héros de Rome, Pierre, rêvait aux dernières lignes de l'œuvre : « Enfin, l'humanité sans frontières, sans guerres possibles, l'humanité vivant du juste travail, dans la communauté universelle de tous les biens ! N'était-ce pas l'évolution, le but du labeur qui se fait partout, le dénouement de l'histoire ? [...] Ah ! cette patrie unique, la terre pacifiée et heureuse, dans combien de siècles, et quel rêve ! »