Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Tunisie, (suite)

Mise en place du protectorat.

• Sous le prétexte d'incidents frontaliers occasionnés par des éleveurs khroumirs, une expédition rapidement menée aboutit à la signature du traité du Bardo (12 mai 1881), qui stipule la délégation à la France du contrôle des Relations extérieures et de la Défense de la Régence. Ce traité est complété par la convention de La Marsa (8 juin 1883), qui renforce le protectorat en élargissant les attributions du ministre résident général, représentant de la France à Tunis. L'autonomie de l'État tunisien se trouve dès lors très réduite : le bey n'a plus que deux ministres, qui n'ont guère de latitude d'action. Les structures du protectorat sont mises en place par le résident général Paul Cambon, qui installe dans les principales localités des contrôleurs civils, vice-consuls de France, chargés de superviser l'action des caïds.

La réalité du pouvoir appartient au résident général, qui prend en mains l'assainissement financier et l'activité économique : réalisation d'un programme de travaux publics, avec construction de 4 000 kilomètres de routes et d'un réseau ferroviaire ; mise en valeur agricole (le nombre des pieds d'oliviers du caïdat de Sfax passe de 380 000 en 1881 à 2,8 millions en 1914) ; exploitation du sous-sol (phosphates de Gafsa). En outre, l'institut Pasteur de Tunis est fondé en 1903 par Charles Nicolle. Une immigration massive de colons italiens amène un journaliste allemand à noter avec humour que la Tunisie est une colonie italienne administrée par les Français, tandis que les milieux coloniaux français évoquent le « péril italien ».

Naissance d'un sentiment national.

• Toutefois, l'absence de toute vie politique suscite, aussi bien dans la bourgeoisie de Tunis que dans les milieux populaires, un mécontentement qui se traduit, dès avant la Première Guerre mondiale, par l'apparition du mouvement Jeune-Tunisien. Des troubles survenus en 1911 entraînent la proclamation de l'état de siège, qui est maintenu jusqu'en 1921. Au lendemain de la guerre, les nationalistes adressent des plaintes au président américain Wilson et à la Société des nations ; en 1920, un parti d'opposition est créé sous le nom de Destour (« Constitution »). Le résident Lucien Saint (1920/1927) rétablit le calme en introduisant quelques réformes, notamment la création d'un Grand Conseil de Tunisie (1922).

À partir de 1934, la situation s'aggrave, à la suite de diverses maladresses françaises (un congrès eucharistique, organisé à Carthage, apparaît pour les Tunisiens comme une provocation) mais aussi d'une scission du parti nationaliste, en un « Vieux Destour », attaché à la tradition islamique, et un « Néo-Destour », dirigé notamment par Habib Bourguiba. En avril 1938, de graves incidents à Tunis et dans les principales villes tournent à l'émeute et la répression fait plusieurs victimes. Ces faits ont pour conséquences la dissolution du Néo-Destour par les autorités françaises et l'arrestation de ses dirigeants.

La Tunisie dans la Seconde Guerre mondiale.

• Dès le début du conflit, la Tunisie est ouvertement convoitée par l'Italie fasciste. Au cours de son bref règne (juin 1942-juin 1943), le bey Moncef, souverain énergique, refuse le rôle de figuration imposé à ses prédécesseurs : il montre sa volonté de gouverner et tente d'obtenir un assouplissement du protectorat en formant un gouvernement de tendance nationaliste et en demandant le rappel de l'amiral Estéva, résident général nommé par Vichy, connu pour son opposition à toute concession aux nationalistes. De décembre 1942 à mai 1943, la Tunisie est le théâtre de furieux combats entre Alliés et forces germano-italiennes. Les hostilités prennent fin par la capitulation de l'Afrikakorps du maréchal Rommel, au Cap-Bon (13 mai 1943). Peu après, Moncef est déposé par ordre du gouvernement d'Alger, au motif fallacieux de « collaboration avec les occupants ». En fait, le pouvoir colonial ne lui pardonne pas ses velléités d'émancipation.

Vers l'indépendance (1945-1956).

• Au lendemain des hostilités, les autorités françaises se contentent de réformes insignifiantes. Placé sur le trône en remplacement de Moncef, le bey Sidi Lamine se comporte d'abord en serviteur docile du protectorat. Mais la tension monte rapidement sous l'influence du Néo-Destour (réduit à la clandestinité) et de l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) ; grèves et manifestations sont organisées sous l'impulsion d'Habib Bourguiba, de Salah Benyoussef et du syndicaliste Ferhat Hached. En 1950, le bey constitue un gouvernement, dirigé par Mohammed Chenik, où entre Salah Benyoussef, secrétaire général du Néo-Destour.

Un compromis, conclu entre Robert Schuman et le ministère Chenik le 8 février 1951, laisse prévoir une évolution vers l'autonomie, mais les colons font échec à toute mesure libérale : les plus intransigeants d'entre eux fondent une organisation terroriste, La Main rouge, qui multiplie les assassinats. De plus, un document du gouvernement français (15 décembre 1951) parle de « co-souveraineté définitive sur la Tunisie ». Partisan de la manière forte, le résident Jean de Hauteclocque (janvier 1952-septembre 1953) use de mesures de rigueur à l'égard des nationalistes, fait procéder au « ratissage » du Cap-Bon et arrêter puis interner Bourguiba et les ministres tunisiens, contribuant ainsi à accélérer la montée des désordres : des groupes armés (fellagha) se forment dans le sud du pays ; l'économie est bientôt paralysée ; divers projets de réorganisation sont repoussés par les nationalistes.

En 1954, Pierre Mendès France décide de revenir à un exercice loyal du protectorat, c'est-à-dire de reconnaître l'autonomie interne de la Tunisie : il expose ses vues dans un discours qu'il prononce à Carthage, le 31 juillet 1954. Un ministère de transition est alors constitué par Tahar Benammar. Le calme revient rapidement, tandis que Bourguiba rentre d'exil. Des accords sanctionnant le nouveau régime des relations franco-tunisiennes sont signés le 3 juin 1955. Cependant, sous l'égide de Bourguiba, devenu chef du gouvernement, et à l'exemple du Maroc, la Tunisie évolue rapidement vers l'indépendance. Celle-ci est reconnue par le traité du 20 mars 1956. La monarchie est abolie l'année suivante, et la République proclamée. Un contentieux relatif à la base navale de Bizerte, que la France refuse d'évacuer, se terminera, cinq ans plus tard, par une épreuve de force qui fera plusieurs dizaines de morts : mais, dès 1962, les relations diplomatiques sont rétablies entre Tunis et Paris, et la France abandonne définitivement la base en 1963.