Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
M

Mérovingiens (suite)

Les partages

Pourtant, dès la mort de Clovis en 511, ses fils s'en étaient partagé l'héritage. La pratique des partages successoraux a été mal jugée par les historiens, qui dénonçaient là une coutume considérée comme traditionnelle chez les peuples germaniques, révélatrice de l'absence de tout sens de l'État, et catastrophique dans la perspective de la construction monarchique. En fait, rien ne montre qu'il se soit agi d'une pratique coutumière, du moins tant que le partage de 511 n'eut pas créé un précédent. Or celui-ci fut plus vraisemblablement le produit de tractations entre le fils aîné de Clovis, Thierry, né d'un premier lit, qui s'était déjà illustré sur les champs de bataille et que tout désignait pour succéder à son père, et ses trois demi-frères, auxquels leur mère charismatique, Clotilde, aurait voulu réserver une part de l'héritage paternel. D'ailleurs, les lots étaient à peu près égaux - sinon en taille, du moins en capacité fiscale -, et la proximité des quatre capitales royales (Paris, Soissons, Reims, Orléans) montrait à tous l'unité préservée d'un regnum Francorum partagé en quatre regna délégués, les quatre Teilreiche (« parts de royaume ») dont parlent les historiens allemands.

Qu'il y eût dans cette pratique une véritable logique nous est confirmée par les partages de 561 et de 567. Le premier fut opéré à la mort de Clotaire Ier, dernier fils de Clovis et seul survivant des générations précédentes, entre ses fils Charibert, Gontran, Sigebert et Chilpéric ; le second intervint à la mort de Charibert, roi de Paris, au profit de ses trois frères. Tandis que Paris - indiscutablement la capitale dynastique depuis que Clovis s'y était installé et y avait été enterré - demeurait indivise en 567, l'assise territoriale du royaume de chacun des trois frères correspondait plus ou moins aux trois principaux royaumes constitutifs de l'État mérovingien : Gontran héritait des terres du Sud-Est, naguère occupées par les Burgondes ; Sigebert, de celles du Nord-Est, berceau des Francs Rhénans ; et Chilpéric, de celles du Nord, berceau des Francs Saliens. L'Aquitaine, quant à elle, fut longtemps considérée comme une terre coloniale dans laquelle chacun avait sa part.

Sans doute la pratique des partages permit-elle donc de ménager les susceptibilités autonomistes des trois principales composantes « géo-ethniques » d'un regnum qui n'était pas si unifié qu'il y paraissait. De fait, les sources n'allaient pas tarder à évoquer trois regna distincts disposant chacun de sa propre institution palatiale (maire - ou chef des services - du palais ; référendaire ou chancelier ; camérier ou trésorier ; connétable, etc.) : le regnum d'Austrasie, au Nord-Est, avec Metz comme capitale ; le regnum de Neustrie, au Nord, avec sa capitale finalement fixée à Paris ; et le regnum de Burgondie, ou Bourgogne, au Sud-Est, avec sa capitale à Chalon-sur-Saône.

Brunehaut et Frédégonde : la « faide » royale (vers 570-613)

D'ailleurs, à mesure que les générations mérovingiennes se succédaient, les solidarités internes se distendirent, et les particularismes de chacun des trois grands regna s'exprimèrent à travers les aspirations de leurs aristocraties respectives. En témoigne le processus de guerre civile qui débuta comme une faide (ou vendetta) au sein même de la famille royale.

À l'origine, en effet, il s'agissait d'une simple vengeance privée : Sigebert Ier, roi d'Austrasie, et son épouse Brunehaut voulurent obtenir réparation de l'assassinat de Galeswinthe, sœur de Brunehaut et épouse du roi de Neustrie Chilpéric Ier, qu'ils rendaient responsable du méfait avec sa concubine Frédégonde. Les deux clans s'entredéchirèrent sous les yeux de Gontran, qui, jusqu'à sa mort en 592, occupa une position d'arbitre intéressé. Après les assassinats de Sigebert (575) et de Chilpéric (584), les deux femmes, Brunehaut et Frédégonde, prirent la tête des camps ennemis au nom de leurs fils ou petits-fils respectifs.

Si le conflit s'éternisa, c'est parce que les aristocraties des trois royaumes y trouvèrent l'occasion de revendiquer haut et fort l'autonomie de leur propre regnum. Initialement, comme ils y étaient contraints par le serment prêté en tant que leudes (ou fidèles royaux), les aristocrates soutinrent leur roi ou leur reine, souvent avec loyauté. Mais il leur arriva de négocier leur ralliement à l'autre camp, quand la déroute de leur roi ou de leur reine risquait d'entraîner leur propre débâcle, ou quand la tutelle de ceux-ci leur devenait insupportable. C'est ce qui se produisit au terme du conflit, en 613. Les grands d'Austrasie - au premier chef Pépin Ier, dit de Landen, riche propriétaire de la région mosane, et Arnoul, riche propriétaire de la région mosellane - résolurent alors d'abandonner l'infatigable Brunehaut ; quant aux grands de Burgondie, chez qui celle-ci avait un temps trouvé refuge, ils décidèrent de la livrer à Clotaire II, fils de Chilpéric Ier et de Frédégonde, roi de Neustrie, et chef de parti depuis la mort de sa mère en 597. Clotaire vengea ses parents en condamnant la vieille reine (mais aussi deux de ses arrière-petits-fils) à une mort publique atroce, qui nous a été rapportée par le pseudo-Frédégaire.

Il est clair que le ralliement des grands d'Austrasie et de Burgondie au parti de Clotaire II ne fut pas désintéressé : ils obtinrent la reconnaissance de leur autonomie. Une autonomie qu'ils entendaient bien contrôler eux-mêmes en prenant durablement possession des principales charges auliques des palais de Metz et de Chalon, dont l'existence n'était nullement mise en cause - bien au contraire - par le retour à une unité royale centrée sur Paris.

L'apogée mérovingien sous Clotaire II et Dagobert (613-639)

Initialement roi de Neustrie, Clotaire II se trouvait donc désormais roi de tous les Francs. Pour pacifier durablement le pays, il dut proposer un compromis aux aristocrates laïcs et ecclésiastiques des tria regna, qu'il rassembla à Paris en 614. Cette réunion aboutit à un édit de pacification contenant des mesures destinées à renforcer l'autorité royale, mais aussi à mettre un terme aux abus de pouvoir des fonctionnaires (spécialement des comtes), devenus très nombreux à la faveur de la guerre civile. En même temps, les droits et devoirs de chacun furent réaffirmés : l'article 12, en particulier, qui prévoyait désormais le recrutement des judices (les comtes eux-mêmes, ou certains de leurs assesseurs : le point est discuté) dans les régions d'exercice de leur autorité, suscita de nombreux commentaires. Loin d'être un recul de la royauté devant les prétentions des aristocraties locales à contrôler les pouvoirs régionaux, cette disposition permit, semble-t-il, de limiter les abus de ces dernières, en brandissant la menace d'une confiscation de leurs biens pour le dédommagement de leurs victimes.