Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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révolution de 1848. (suite)

La conjoncture économique, favorable au début des années 1840, se retourne après les mauvaises récoltes céréalières de l'été 1846 : le cours du blé double pendant l'hiver 1846-1847, atteignant le chiffre record de 38 francs le quintal au printemps 1847. La hausse du prix du pain se conjugue avec une pénurie de pommes de terre, une maladie de ce tubercule, apparue en Irlande en 1845, ayant désormais gagné le continent. La disette provoque des troubles de subsistance classiques : pillages des convois et des marchés de grains, manifestation contre les possédants et les négociants accusés d'accaparement. Le gouvernement doit dégarnir Paris de nombre de ses troupes pour rétablir l'ordre. L'industrie et le commerce sont inévitablement touchés par la crise agricole : la flambée des prix alimentaires entraîne une restriction des achats, notamment de produits textiles. Parallèlement s'ouvre une crise financière, imputable au surinvestissement effectué pendant les années fastes (dans les compagnies ferroviaires et la métallurgie surtout) et à l'augmentation de l'appel au crédit pour faire face à la baisse des revenus. La hausse du taux de l'escompte et le manque de capitaux provoquent des faillites dans les compagnies ferroviaires et une baisse brutale des valeurs mobilières. Les industriels restreignent leur production. Les licenciements atteignent 30 % des effectifs dans la métallurgie et le textile. La récession est également très forte dans le bâtiment. Des troubles éclatent dans les villes, où se cumulent hausse des denrées alimentaires, baisse des salaires et chômage. Le nombre des indigents s'accroît. Les ouvriers détruisent des machines dans plusieurs centres textiles. La misère favorise la diffusion des idées socialistes au sein de l'aristocratie ouvrière. Enfin, la crise affecte les recettes fiscales et fait réapparaître le « hideux déficit » des finances publiques. À l'automne 1847, la situation alimentaire redevient normale et, à l'aube de l'année suivante, la crise du crédit prend fin. Mais les effets sociaux des difficultés économiques sont loin d'être dissipés lors de l'épreuve de force de février, d'autant que s'y ajoute un malaise moral.

En effet, deux scandales jettent un discrédit sur le personnel dirigeant pendant l'année 1847. L'affaire « Teste-Cubières » révèle un cas de concussion entre deux pairs de France, le premier ayant vendu à son collègue la concession d'une mine de sel alors qu'il était ministre des Travaux publics. Plus tard, on apprend l'assassinat de la duchesse de Choiseul-Praslin par son mari, également pair de France. L'opposition exploite, contre le ministère Guizot, ces affaires qui déconsidèrent aux yeux de l'opinion les élites au pouvoir. Au même moment, le souvenir de la Révolution et de la Ire République est fortement ravivé grâce aux travaux des historiens Michelet et Lamartine, qui réhabilitent le grand sursaut républicain de 1792.

En outre, le régime de Juillet, marqué par une dérive conservatrice sous le ministère Guizot, connaît une nouvelle crise politique. L'autoritarisme croissant de Louis-Philippe est d'autant plus mal supporté par la gauche dynastique que celle-ci ne s'attend plus à une libéralisation du régime : la mort, en 1842, du fils aîné du roi, le populaire duc Ferdinand d'Orléans, laisse présager une régence du duc de Nemours, connu pour ses idées conservatrices. L'immobilisme du régime et l'impossibilité de modifier le rapport des forces à la Chambre sans une réforme électorale conduisent l'opposition à réclamer une nouvelle fois l'exclusion des députés-fonctionnaires et un abaissement du cens électoral. Après l'échec de ces propositions devant la Chambre, elle fait appel au pays grâce à la « campagne des banquets ». Elle tourne ainsi l'interdiction gouvernementale des réunions politiques publiques, les toasts tenant lieu de discours. Le premier banquet, organisé à Paris le 9 juillet 1847, est suivi par près de soixante-dix autres en province. Progressivement, l'opposition républicaine déborde l'opposition dynastique. À Lille, le 7 novembre, Ledru-Rollin attaque ouvertement le régime lors des toasts. Guizot commet la maladresse d'interdire le dernier banquet de cette campagne, prévu à Paris le 22 février.

Trois journées décisives.

• Les organisateurs de ce banquet (Odilon Barrot et ses amis) s'inclinent lorsque le gouvernement renouvelle son interdiction le 21. Mais il est trop tard. Des manifestants se rassemblent pour exhorter les convives à se réunir. La journée du 22 est marquée par une série d'escarmouches avec les forces de l'ordre dans le Quartier latin et dans l'est de la capitale. Elles laissent l'avantage à la troupe, mais la persistance de l'agitation le lendemain matin conduit le gouvernement à requérir la Garde nationale, demeurée jusque-là le rempart du régime. Or celle-ci, en prenant position dans la rue au matin du 23, conspue le ministère aux cris de « Vive la réforme ! » et de « Guizot démission ! ». La crise de régime est désormais ouverte. Prenant soudain conscience de l'impopularité du gouvernement, le roi « accepte » la démission de Guizot au début de l'après-midi et fait appel au comte Molé. La situation se détend quelque peu. Mais elle bascule définitivement, dans la soirée, à la suite d'une fusillade sur le boulevard des Capucines : se sentant menacée, la troupe tire sur les manifestants venus fêter leur succès devant le ministère des Affaires étrangères, faisant seize morts. Leurs cadavres sont transportés durant la nuit dans les quartiers populaires de Paris, qui se hérissent de barricades.

Molé s'étant retiré, Louis-Philippe tente en vain, le 24 février, de faire appel à Thiers puis à Odilon Barrot, qui se récusent. Le maréchal Bugeaud est alors investi du commandement militaire de Paris. Cependant, l'émeute progresse et, vers midi, menace le palais des Tuileries. Ne voulant pas « verser inutilement le sang français », Louis-Philippe se résout à abdiquer en faveur de son petit-fils, le comte de Paris, âgé de 9 ans, dont la mère, la duchesse d'Orléans, tente d'obtenir de la Chambre la régence, tandis que le roi déchu part pour l'Angleterre. Mais les émeutiers ont envahi la salle des séances, et les parlementaires, à l'exception d'Odilon Barrot, abandonnent la cause de la couronne. Lamartine et Ledru-Rollin font acclamer la composition d'un gouvernement provisoire dont la liste a été préparée dans les bureaux du journal le National : outre ces deux personnalités, elle comprend cinq notoriétés parlementaires, « républicains de la veille » modérés : le vieux Dupont de l'Eure, le savant François Arago, Pierre Marie, Louis Garnier-Pagès et Adolphe Crémieux. On y ajoute Armand Marrast et Ferdinand Flocon, directeurs respectivement du National et de la Réforme . Mais, à peine formée, cette équipe, dont Ledru-Rollin et Flocon représentent l'aile avancée, se heurte à la concurrence d'un autre gouvernement, composé de radicaux et de socialistes, émanant des sociétés secrètes qui occupent les points stratégiques de la capitale. Les parlementaires républicains gagnent en hâte l'Hôtel de Ville et, à l'issue de négociations, le Gouvernement provisoire est définitivement constitué avec l'adjonction de deux nouveaux membres, le théoricien socialiste Louis Blanc et l'ouvrier Albert.