Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Fourier (Charles), (suite)

C'est à une œuvre philosophique baroque, illuminée, pleine de néologismes étranges, que Charles Fourier doit sa célébrité. Son premier ouvrage, paru en 1808 sans nom d'auteur, Théorie des quatre mouvements et des destinées générales, développe une théorie totale et unitaire du monde, embrassant à la fois la nature et les sociétés humaines. Livres et articles concernant les sujets les plus divers se multiplient ensuite.

Les observations de Fourier le conduisent à ce constat : dans la société règne le désordre absolu. Ce « monde à l'envers » ne peut être maintenu que par la force d'un État contrôlé par une aristocratie mercantile et financière armée d'une morale oppressive qui refoule les passions. Mais cet état de civilisation doit être bientôt dépassé par un nouveau stade historique : « l'industrie sociétaire, véridique et attrayante », société communautaire dont Fourier règle le fonctionnement jusque dans les moindres détails. Dans ce phalanstère, composé de 1 620 personnes, le travail sera « attrayant », chacun devant œuvrer selon ses passions. La distinction entre les sexes et les races sera abolie mais les hiérarchies subsisteront : riches et pauvres ne disparaîtront pas.

L'école de Fourier - l'École sociétaire - n'exerce guère d'influence du vivant de son fondateur, et elle entreprend peu de réalisations, se développant surtout entre 1830 et 1848. Quelques associations conçues sur le modèle du phalanstère voient néanmoins le jour : l'Union industrielle du Sahy, au Brésil (1841-1845), l'Union agricole de Saint-Denis-du-Sig, en Algérie (1846), et, surtout, la Société de colonisation, créée au Texas par deux des principaux disciples de Fourier, dont Victor Considérant, et le familistère de Guise, installé dans les Vosges sur l'initiative de Jean-Baptiste Godin, fabricant des poêles du même nom. Charles Fourier est également le philosophe fétiche de Sigmund Freud et de l'écrivain surréaliste André Breton : l'un et l'autre ont reconnu en lui un grand libérateur des passions.

Fourmies (fusillade de),

fusillade survenue lors de la célébration du 1er Mai à Fourmies (Nord), en 1891, et qui constitue l'un des grands événements de la mémoire du mouvement ouvrier français.

À la fin du XIXe siècle, Fourmies est une ville textile de 15 000 habitants située à 200 kilomètres au nord de Paris. Plusieurs grèves y ont déjà éclaté. Les socialistes guesdistes, très implantés dans le nord de la France, tentent d'y organiser les ouvriers. L'un de leurs dirigeants nationaux, Paul Lafargue, vient de Paris, au printemps 1891, pour inciter à la grève générale du premier 1er Mai consacré à la revendication de la journée de huit heures et d'augmentations de salaire. Les patrons se sont rassemblés pour résister à la pression ouvrière, et ont fait apposer sur les murs de Fourmies une affiche affirmant leur détermination à ne point céder.

Au 1er mai, la tension est extrême. Le préfet et le maire de la ville ont réclamé l'envoi de deux compagnies d'infanterie. Face à une manifestation composée d'hommes, de femmes et d'enfants qui refusent de se disperser, la troupe fait feu avec une nouvelle arme : le fusil Lebel. L'efficacité de celle-ci est redoutable : on compte neuf morts (parmi lesquels sept jeunes de moins de 21 ans, et un enfant de 12 ans), ainsi que plusieurs dizaines de blessés.

L'événement a un très fort retentissement. L'écrivain antisémite Édouard Drumont y voit l'occasion de déployer, une nouvelle fois, ses thèses obsessionnelles. Dans le Secret de Fourmies (1892), il explique la fusillade par la présence d'un sous-préfet juif, Isaac, supposé agir sur l'ordre des Allemands, désireux de connaître les performances du fusil Lebel. Il ajoute : « Peut-être Isaac a-t-il voulu simplement célébrer à sa façon le centenaire de l'émancipation des juifs en 1791, que certains journaux toute honte bue ont eu l'aplomb de rappeler comme une date glorieuse ? » À la Chambre des députés, le socialiste Ernest Roche fait le récit de la tragédie en déployant une chemise ensanglantée percée de six balles. Georges Clemenceau s'écrie, à son tour, à la tribune : « Il y a quelque part, sur le pavé de Fourmies, une tache de sang innocent qu'il faut laver à tout prix... Prenez garde ! Les morts sont des grands convertisseurs ; il faut s'occuper des morts. » Mais ce sont les socialistes que l'on condamne : Culine, le dirigeant guesdiste de Fourmies, et Lafargue sont jugés pour « provocation directe au meurtre », et condamnés, le premier à six ans de réclusion, et le second à un an. Lafargue est libéré grâce à son élection comme député lors d'un scrutin partiel de novembre 1891, une élection qui doit beaucoup à l'émotion suscitée par l'épisode de Fourmies.

Frachon (Benoît),

syndicaliste et homme politique (Le Chambon-Feugerolles, Loire, 1893 - Les Bordes, Loiret, 1975).

Ce fils de mineur, titulaire du certificat d'études en 1904, devient lui-même, à 13 ans, apprenti ouvrier métallurgiste. Il se syndique dès 1909 et s'initie à la politique au sein d'un groupe de jeunes anarchistes et anarcho-syndicalistes. Ébloui par la révolution russe d'Octobre, il milite, en 1917, contre la guerre. Après sa démobilisation, il adhère à la SFIO en 1919, puis au Parti communiste en 1922. À cette date, il est à la fois secrétaire du syndicat des métaux et maire adjoint du Chambon. En 1924, il abandonne cette dernière fonction, lui préférant celle de secrétaire permanent de l'union des syndicats CGTU de la Loire. En 1926, il est membre du comité central du Parti communiste, puis, parrainé par Maurice Thorez, entre au bureau politique en 1928, et appartient au secrétariat du parti de 1929 à 1933. En octobre 1932, il est désigné secrétaire général de la CGTU et milite, dès 1934, en faveur de l'unité syndicale, soutenant la politique du Front populaire. En octobre 1939, son refus de dénoncer le pacte germano-soviétique lui vaut d'être exclu de la CGT. Dans la clandestinité, il se retrouve, avec Jacques Duclos, à la tête du PCF, œuvrant pour la réunification syndicale symbolisée par les accords du Perreux (avril 1943). À la Libération, il est cosecrétaire général de la CGT avec Léon Jouhaux, mais, tandis que le courant communiste devient majoritaire au sein de la confédération, sa position apparaît rapidement supérieure à celle de Jouhaux. Après la scission syndicale de 1947 (Jouhaux fonde alors la CGT-FO), Benoît Frachon assume - jusqu'en 1957 avec Alain Le Léap, puis seul - la fonction de secrétaire général de la CGT. En 1967, Georges Séguy lui succède, et il occupe alors le poste, honorifique, de président de la CGT.