femme de lettres (château de Chamrond, Mâconnais, 1697 - Paris 1780).
Épistolière et hôtesse d'un célèbre salon, la marquise est entrée dans l'histoire des mœurs et de la littérature par la conversation. Destin conforme à ce que la société d'Ancien Régime, les philosophes et les médecins des Lumières concédaient à la nature féminine : le tact subtil, l'intuition immédiate, le don de la conversation, le talent des échanges épistolaires et du roman, bref, une sensibilité en accord avec la fugacité des choses quotidiennes et des sentiments, mais rebelle aux méditations réfléchies de la raison masculine.
À partir de 1747, après des années de préparation auprès de la duchesse du Maine, Mme du Deffand ouvre son propre salon à Saint-Germain-des-Prés, deux ans avant sa principale rivale, Mme Geoffrin. Comme auparavant celui de Mme de Lambert, son salon mêle aristocrates et intellectuels (d'Alembert, Montesquieu, Turgot, etc.). Mais l'originalité de la marquise est que, loin de s'effacer, elle adopte un ton détaché, élégamment ironique, et se pose elle-même comme l'attraction principale, par la variété et la subtilité de son esprit, par une franchise inattendue, en rupture savante avec les normes de la sociabilité mondaine.
Frappée de cécité à partir de 1754, elle accueille auprès d'elle Julie de Lespinasse (1732-1776). C'est alors, dans la conjugaison des talents acides et de la grâce juvénile, l'apogée de son salon, avant que Julie ne fonde en 1764 son propre cercle, avec l'aide de d'Alembert et de Turgot. La tonalité aristocratique et de plus en plus anti-encyclopédique du salon s'accentue, tandis que la marquise épanche dans ses lettres son noir désenchantement à l'égard des idées et des hommes, cibles d'une ironie féroce. Mais son abondante correspondance (qui sera publiée en 1809) n'est pas seulement l'exutoire de la discipline mondaine : la contrainte douloureuse du masque s'y retrouve également, au cœur même de la passion. Dure et blasée, au fond indifférente à tout - le siècle et elle-même appellent cela « l'ennui » -, Mme du Deffand doit maquiller en amitié sa passion pour le flegmatique Horace Walpole (1717-1797), auquel elle légua ses lettres.
Elle savait la valeur de ces lettres : à la fois, miroir cruel des salonniers et remède contre l'ennui - mal qui, en rongeant son existence, donne un peu de chaleur noire à cette aristocrate brillante, attachée à Voltaire et à d'Alembert, hostile à l'Encyclopédie et à Rousseau.