Occupation (suite)
En zone sud, la situation s'avère plus ambiguë. L'absence physique de soldats allemands, la présence d'un gouvernement français, le maintien des signes distinctifs de la souveraineté française (drapeaux tricolores, défilés militaires, exécutions en public de la Marseillaise), peuvent laisser croire à un miraculeux « retour à la normale ». Mais l'emprise allemande, pour être plus discrète, n'en est pas moins réelle. La commission allemande d'application de l'armistice, qui siège à Wiesbaden (une commission similaire, italienne, siège à Turin), exerce en fait un contrôle sur la politique de Vichy, en particulier dans le domaine militaire. Cette commission, au sein de laquelle les Allemands imposent presque toujours leur façon de voir, installe en zone sud et dans l'empire colonial des « missions permanentes » - de véritables nids d'espions, que le contre-espionnage de Vichy s'emploie d'ailleurs à traquer, du moins jusqu'en novembre 1942. Le désarmement de la flotte française, prévu par l'armistice, est ainsi placé sous étroit contrôle allemand, et, en Afrique du Nord, le gouvernement de Vichy doit négocier pied à pied le maintien en activité de certaines unités en avançant les nécessités de la défense de l'empire. Vichy dispose d'une force militaire pour assurer l'ordre en zone sud ; cette armée, dite « de l'armistice », est limitée à 100 000 hommes, mais elle sera purement et simplement dissoute par les Allemands en janvier 1943. En outre, la coupure en deux du pays par la ligne de démarcation, en contribuant à désorganiser l'activité économique, fait peser une lourde contrainte sur le gouvernement de Vichy. « Pays du seigle et de la châtaigne », la zone « libre » dépend étroitement pour sa subsistance des liens avec la France du Nord occupée, ce qui en limite structurellement la « liberté ». En outre, l'une des clauses de l'armistice prévoit que les quelque 1,8 millions de soldats français faits prisonniers durant la campagne de 1940 resteront détenus en Allemagne jusqu'à la signature d'un traité de paix. Par cette mesure, Hitler transforme ces soldats en otages potentiels et dispose ainsi d'un redoutable moyen de pression sur Vichy. L'occupation de la zone sud, le 11 novembre 1942, en réponse au débarquement anglo-américain en Afrique du Nord - assimilé par les Allemands à une violation de l'armistice -, achève de ruiner l'hypothétique souveraineté de Vichy et place l'ensemble du territoire métropolitain sous domination allemande. Pourtant, cet « État français », de plus en plus vassalisé, continuera jusqu'au bout à lutter contre la Résistance aux côtés des nazis. L'Italie dispose également d'une zone d'occupation dans le Sud-Est, qui sera récupérée par l'Allemagne à l'automne 1943, après l'effondrement italien.
Les mesures du Reich non prévues par l'armistice.
• Dès l'été 1940, les Allemands s'emploient à outrepasser les clauses de l'armistice et entreprennent un véritable dépeçage de la France. La zone nord est divisée en régions aux statuts très différents. Les départements du Nord et du Pas-de-Calais sont rattachés (« zone rattachée ») au commandement militaire de Bruxelles, et non à celui de Paris. Cette séparation - inquiétante - peut annoncer la future annexion au Reich de ces régions ou leur rattachement à la Belgique et aux Pays-Bas, dans le but de former, après la guerre, un vaste « État flamand », vassal du Reich. Dans la logique nazie de la hiérarchie des races, les habitants du nord de la France sont considérés, en effet, comme relativement proches des Germains et donc comme assimilables. En outre, la Picardie est érigée en « zone interdite » aux réfugiés de l'exode de mai-juin 1940, tandis que les Ardennes, la Champagne, le sud de la Lorraine et la Franche-Comté sont transformés en une « zone réservée », où l'autorité de l'administration de Vichy est réduite à sa plus simple expression. Enfin, dès le mois d'août 1940, les trois départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, annexés par l'empire allemand en 1871 et recouvrés par la France en 1918, sont de facto intégrés au Reich et soumis à une intense nazification. Les Français qui s'y sont installés depuis 1918 ainsi que tous les juifs, Français ou non, en sont expulsés ; l'administration française, chassée, est remplacée par deux Gauleiter allemands, la législation allemande, appliquée, et 130 000 jeunes gens (les « malgré-nous ») se voient enrôlés de force dans la Wehrmacht.
Symbole de la victoire hitlérienne, Paris est transformé en ville allemande. Les services allemands réquisitionnent de grands hôtels (le gouvernement militaire du Gross Paris au Majestic) ou des pâtés de maisons (ainsi l'avenue Kléber). Le drapeau nazi flotte sur le Palais-Bourbon, et sur la tour Eiffel est placardée une orgueilleuse proclamation : « L'armée allemande vainc sur tous les fronts ». Dans les rues, les panneaux indicateurs sont rédigés en allemand, et les uniformes de la Wehrmacht (les « vert-de-gris »), omniprésents. Les soldats allemands, qui préfèrent les plaisirs de Paris à l'enfer du front de l'Est, bénéficient de restaurants, de cinémas (Soldatenkino), et même de maisons closes réservés à leur usage.
La vie quotidienne sous l'Occupation
Les problèmes soulevés par les coupures du pays.
• Le dépècement administratif qui résulte de l'armistice et de son application par les Allemands est lourd de conséquences pour les Français. Les dizaines de milliers de réfugiés de la zone interdite ne peuvent rentrer chez eux avant plusieurs mois, et sont contraints, en compagnie de milliers de réfugiés belges et alsaciens-lorrains, de prolonger un hébergement précaire dans des communes d'accueil. Il s'ensuit, dans la plupart des villes de la zone sud, une grave crise du logement. Exemple parmi d'autres de ces déplacements forcés, l'université de Strasbourg trouve refuge à Clermont-Ferrand, avant d'être brutalement fermée par les Allemands en novembre 1943. La ligne de démarcation constitue une frontière intérieure hermétique. Tout contact entre les deux zones est soumis à autorisation. Les relations familiales, économiques et administratives s'en trouvent bouleversées. Il faut attendre mars 1943, soit quatre mois après l'occupation de la zone sud, pour que le régime des Ausweis soit levé. Le courrier lui-même passe très mal. Dans un premier temps, les Français ne peuvent communiquer d'une zone à l'autre que par le moyen de cartes imprimées d'avance où ils doivent cocher des cases. L'usage de cartes postales ordinaires, rigoureusement contrôlé par la censure, n'est autorisé qu'en 1942. Paradoxalement, il est plus facile d'envoyer une lettre ou un colis à un prisonnier en Allemagne qu'à un parent habitant de l'autre côté de la ligne.