Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
N

noblesse (suite)

Réinventions postrévolutionnaires

La noblesse ne tarde pas à être mal payée de l'ardeur réformatrice de sa frange libérale : peu après que le décret des 19-23 juin 1790 a prononcé sa mort civile, elle devient un groupe politiquement suspect, dont le divorce d'avec la nation s'aggrave au moment de la fuite du roi, avant d'être consommé sous l'effet des proscriptions révolutionnaires. Cela dit, les ci-devant nobles ne sont pas seuls à subir les persécutions de la Terreur et ne constituent que 17 % des contingents de l'émigration (un partage des rôles s'établit entre, d'un côté, de jeunes hommes impatients d'en découdre avec la République et, de l'autre, leurs parents et leurs épouses, auxquels incombe la périlleuse mission de sauvegarder le patrimoine familial). Partant, la noblesse sort de la décennie révolutionnaire inégalement meurtrie et spoliée. Si la remise en ordre napoléonienne lui permet globalement de recouvrer une large part de son assise patrimoniale et de prendre rang parmi les notables, il reste que les ralliements à l'Empire sont timides et, pour certains, ambigus. Or, Napoléon n'a que peu de sympathie pour l'égalitarisme révolutionnaire : la création de la noblesse d'Empire, en 1808, répond à son souci d'asseoir la pérennité de son régime sur une élite héréditaire devant au service de l'État sa fortune et son rang social.

Dès le retour de Louis XVIII, « l'ancienne noblesse reprend ses titres », tandis que « la nouvelle conserve les siens » et que le roi « fait des nobles à volonté ». La noblesse n'est plus qu'une dignité honorifique, qui ne vaut à son bénéficiaire « aucune exemption des charges et des devoirs de la société », selon les termes mêmes de l'article 71 de la Charte de 1814 ; mais elle reste auréolée d'un prestige que ne dément pas l'empressement avec lequel des bourgeois en mal de reconnaissance sociale en prennent les apparences. Au demeurant, pas plus les changements de régime que les bouleversements provoqués par la révolution industrielle n'altèrent la visibilité sociale du fait nobiliaire au long du XIXe siècle : face au défi d'une société juridiquement égalitaire, qui fait la part belle aux élites de l'argent et des talents, la noblesse se « réinvente » dans « l'apprentissage de la modernité », « la conscience du devoir d'utilité sociale » et la quête de « l'excellence » (Claude-Isabelle Brelot). En dépit du repli légitimiste de 1830, elle demeure solidement implantée dans certains corps de l'État, comme celui des receveurs généraux du Trésor public, réinvestit l'armée et la diplomatie, sous le Second Empire, part à la conquête du suffrage universel - avec, il est vrai, des bonheurs inégaux, selon les régions - et joue un rôle pionnier aussi bien dans le catholicisme social que dans le syndicalisme agricole ; convertie à la rigueur gestionnaire, elle ne borne nullement ses intérêts à l'amélioration de l'agriculture, mais prend une part active à l'essor du capitalisme, comme le montre sa forte présence dans l'actionnariat de la Banque de France. Mais c'est par sa maîtrise spécifique du temps et de l'espace qu'elle veille à affirmer sa singularité sociale, en réaction à « l'émergence d'une aristocratie française fusionnée », dont Paris est le creuset : jalouse d'un passé dont elle tire gloire et qu'elle revisite à son gré, elle ne se contente pas de sécréter une « historiographie d'ordre », mais marque de son empreinte les sociétés savantes ; par sa pratique de la résidence multiple entre ville, château, stations thermales et balnéaires, elle manifeste sa vocation à codifier les rites de la vie élégante et les normes du « bon ton ».

Quand bien même la « fin des terroirs » s'assortit de l'effondrement du socle historique de sa puissance sociale, la noblesse n'abdique pas tout rôle dirigeant au XXe siècle : en témoigne le grand nombre de cadres qu'elle fournit à la France libre et à la Résistance, aussi bien que sa surreprésentation actuelle dans les grands corps de l'État et le monde des affaires. Sa perpétuation sociale n'en paraît pas moins menacée par le spectre de l'étiolement démographique, puisqu'il ne se crée plus de nobles depuis 1871, et de sa dilution identitaire entre les différentes classes de la société contemporaine : répartis sur tout l'éventail des professions et des revenus, les nobles ne sont pas tous à même de cultiver un art de vivre fondé sur la mystique de la distinction et la prégnance du paraître. Partant, comme aux autres périodes de l'histoire, c'est du dynamisme des individus et de leur capacité d'adaptation à l'évolution de la société que dépendent la pérennité des lignées et leur maintien dans l'élite.

noblesse de cloche,

sobriquet péjoratif désignant les familles anoblies par l'exercice d'une charge municipale dans quatorze « bonnes villes » du royaume (compte non tenu de celles où ce privilège n'a pas été suivi d'effet).

À l'exception (discutée) de Toulouse, où les capitouls prétendent tenir leur noblesse du droit d'image - en vertu duquel les magistrats supérieurs de la Rome républicaine exposaient publiquement le buste de leurs ancêtres - et en reçoivent confirmation par des lettres patentes du dauphin en 1420, les autres municipalités doivent au roi une concession, qui constitue « la plus ancienne forme connue d'anoblissement par charge » (François Bluche) : c'est pour honorer le loyalisme de Poitiers et de La Rochelle que Charles V anoblit leurs corps de ville en 1372 et 1373 ; mais il faut attendre la fin de la guerre de Cent Ans pour que Louis XI récompense de même la fidélité de Niort (1461), Tours (1462), Bourges (1474), Angers (1475) et Saint-Jean-d'Angély (1481). Ses successeurs n'octroient la noblesse municipale qu'avec parcimonie : aux édiles de Lyon en 1495 - où, à la gratitude de Charles VIII pour l'accueil qui lui avait été réservé lors de son entrée, se joignent des considérations stratégiques et économiques -, d'Angoulême en 1507, et de Nantes en 1560. Le critère de fidélité à la monarchie reste déterminant au XVIIe siècle, comme le prouvent la révocation des privilèges de Saint-Jean-d'Angély (1621) et de La Rochelle (1628), et l'anoblissement de la municipalité de Cognac et du maire d'Issoudun (1651), en guise de reconnaissance de la résistance de ces villes à Condé. Cependant, l'État moderne ne peut s'accommoder d'un mode d'anoblissement qui, en permettant à la bourgeoisie d'échapper à l'impôt, entraîne un manque à gagner pour le Trésor royal : déjà les édits de mars 1583 et de janvier 1634 avaient, sans succès, tenté de rendre la noblesse municipale intransmissible aux enfants de ses titulaires ; arguant que, de surcroît, elle nuit au négoce, Colbert convainc Louis XIV de la révoquer par l'édit de mars 1667 et de contraindre les maires et échevins en poste depuis 1600 ou leurs descendants à faire confirmer, contre argent, leur appartenance au second ordre. Seuls le capitoulat toulousain et l'échevinage lyonnais préservent alors leurs privilèges ; l'anoblissement n'est rétabli, moyennant finance, qu'au bénéfice des seuls maires de Bourges (1667), Nantes (1669), Angers (1670), Angoulême (1673) et Poitiers (1685), puis accordé, en 1706, à huit offices municipaux de Paris. Amoindrie par la création des « maires perpétuels », en 1692, et touchée par la multiplication des confirmations vénales, la noblesse de cloche perd de son attrait aux yeux de nombreux candidats à l'anoblissement, qui se rabattent sur la « savonnette à vilains », mais n'en subsiste pas moins jusqu'à la suppression des corps de ville, par le décret du 14 décembre 1789.