Constitution de 1958, (suite)
La « monarchie républicaine
• ». La pratique imposée par de Gaulle et par le premier gouvernement de la Ve République, que dirige Michel Debré, détermine pour longtemps un type de régime nouveau pour la France, que critiquent les partisans du parlementarisme classique. En effet, dans la conduite de sa politique algérienne, le président est libéré de tout contrôle effectif, hormis de celui de l'électorat lors des référendums-plébiscites. Par ailleurs, l'importance des problèmes internationaux lui laisse la marge de manœuvre nécessaire. Dès lors, Charles de Gaulle troque progressivement ses compétences d'« arbitre » contre celles de « capitaine ». Son statut personnel, sa légitimité historique, lui permettent de devenir un « monarque républicain » qui tire son pouvoir du vote populaire. Le fréquent recours aux référendums, dans une conjoncture particulière, vise à ressourcer régulièrement le pouvoir présidentiel et à conférer un statut éminent à son titulaire. Le chef de l'État instaure un dialogue permanent avec le peuple, notamment par des voyages en province et une utilisation judicieuse des moyens audiovisuels. Il se place désormais au-dessus des partis en s'aménageant un « domaine réservé » en matières diplomatique et militaire. En dehors de ces compétences clairement revendiquées, il laisse agir le gouvernement, notamment dans les domaines économique et social. Mais ce dernier reste subordonné. Nommé par le président, le Premier ministre peut être révoqué par lui, sans attendre la sanction parlementaire, comme le souligne la démission de Michel Debré, en avril 1962. De même, la censure parlementaire ne constitue pas un critère suffisant pour remplacer le Premier ministre ; c'est ce que révèle le maintien de Georges Pompidou au printemps 1962. Le président devient donc la clé de voûte de l'ensemble, d'autant que le Parlement, après quelques tentatives de résistance, se résigne à la lecture et à la pratique gaulliennes, même si les parlementaires les plus chevronnés et les plus actifs contestent avec force cette évolution.
L'année 1962 marque une accélération du processus. En faisant ratifier, par référendum, l'élection du président de la République au suffrage universel, Charles de Gaulle entend construire une présidence active, politiquement responsable devant le peuple tout entier. Le soutien d'une majorité parlementaire cohérente, acquis lors des élections de novembre 1962, lui offre le relais nécessaire, et lui assure une marge de manœuvre importante. Fait présidentiel et fait majoritaire conjuguent leurs effets pour renforcer le système gaulliste.
Cependant, la « monarchie républicaine » montre ses limites : le pouvoir charismatique de Charles de Gaulle tend à s'effriter. La grève des mineurs, durant l'hiver 1963, souligne la montée des revendications populaires, tout comme l'avaient illustrée, antérieurement, les manifestations paysannes ; la contestation s'exprime en dehors du cadre institutionnel. Par ailleurs, le corps électoral, sur lequel de Gaulle s'appuie, tend à se détourner, ainsi qu'en témoigne le scrutin de décembre 1965, qui met en ballottage le Général, opposé à François Mitterrand. Même si l'élection au suffrage universel offre une assise électorale large, elle tend à transformer le président en chef d'une majorité politique. Enfin, le dialogue direct avec le peuple est mis à mal en mai-juin 1968 : la crise sociale révèle le divorce d'avec la jeunesse, et souligne la prise de distance des catégories populaires, et même d'une fraction des classes moyennes, à l'égard du régime. Le référendum du 27 avril 1969 sur la transformation du Sénat et la régionalisation est un échec. Les notables traditionnels s'opposent à ces mutations, suivis par une large frange de l'électorat populaire. Le 28 avril, de Gaulle donne sa démission.
La pratique présidentialiste au service de la pérennisation du régime.
• Contrairement à bien des prévisions, les institutions ont survécu au départ de Charles de Gaulle, et l'élection, sans problèmes majeurs, de ses successeurs a confirmé la solidité du système. Même les partis de gauche, qui, depuis 1958, dénonçaient l'abandon de la démocratie parlementaire et la personnalisation du pouvoir, se sont inscrits, avec la stratégie de François Mitterrand, dans la perspective tracée par le fondateur de la Ve République.
Les succès gaullistes expliquent ces choix. Le texte de 1958 a apporté la stabilité politique attendue. Par ailleurs, les mutations socioculturelles ont entraîné de nouveaux comportements, donnant aux électeurs la capacité de peser sur les grandes orientations.
Georges Pompidou et Valéry Giscard d'Estaing vont adopter une démarche assez proche de celle de Charles de Gaulle, tout en imprimant une direction politique plus présidentialiste. En multipliant les interventions, les lettres directives pour définir les axes de l'action gouvernementale ; en accroissant le nombre de leurs collaborateurs directs et celui des nominations dans la haute administration, les deux présidents entendent affirmer leur primauté dans le fonctionnement des institutions. Dès lors, le chef du gouvernement devient un exécutant qui doit appliquer une politique qu'il n'élabore pas vraiment. Pour avoir feint de l'ignorer, Jacques Chaban-Delmas, Premier ministre depuis juin 1969, doit démissionner en juillet 1972, alors qu'il dispose d'une majorité parlementaire. De même, Jacques Chirac, Premier ministre en 1974, se retire en août 1976, parce qu'il ne jouit pas des moyens de mener son action gouvernementale. Cependant, Valéry Giscard d'Estaing, qui a proclamé, lors de son élection, sa volonté de « décrisper les institutions », introduit quelques modifications institutionnelles, dans une conjoncture de faiblesse politique relative, due à l'absence de soutien d'un parti puissant. Ainsi, il élargit la saisine du Conseil constitutionnel, et, avec son gouvernement, manifeste plus d'égards pour le Parlement : recours plus fréquent aux commissions, convocation de sessions extraordinaires. Mais les principes fondateurs du régime subsistent, tandis que la « présidentialisation » gagne même l'organisation et le fonctionnement des partis, dont la crédibilité dépend de leur capacité à proposer un candidat à l'élection présidentielle.