Vercingétorix, (suite)
Le seul jugement qui paraisse possible sur Vercingétorix porte donc sur ses qualités militaires, jugement qui ne peut être que nuancé. Le chef gaulois innove en effet par sa tactique, fructueuse, de terre brûlée et de guérilla. Mais il s'en écarte aussi, en épargnant Avaricum puis en affrontant César près d'Alésia. Cette dernière et fatale erreur paraît si considérable que certains historiens, tel Jacques Harmand, ont supposé que Vercingétorix jouait en fait double jeu ! D'autres, comme Michel Rambaud, ont considéré que César avait fortement amplifié les événements de l'année 52 et exagéré l'importance du personnage de Vercingétorix.
Seule demeure, en fin de compte, une certitude minimale, c'est que Vercingétorix a bien existé : son nom figure sur une trentaine de monnaies arvernes, pour la plupart en or, les deux seules en bronze provenant d'Alésia même. Il n'est cependant pas sûr que la tête représentée sur ces monnaies soit un fidèle portrait du chef gaulois, car l'exécution en est très conventionnelle, et diffère en outre selon les monnaies. Il s'agit néanmoins d'un cas indéniable de convergence entre des sources écrites et des données archéologiques.
Au-delà de ces éléments, l'interprétation du personnage de Vercingétorix relève de l'idéologie. Longtemps ignoré et considéré comme un barbare vaincu, il sort de l'ombre avec l'avènement des nationalismes au XIXe siècle. Napoléon III, qui tente d'asseoir son pouvoir sur un nationalisme populaire, fait fouiller Alésia, consacre un livre à César, et commande à Millet une statue de Vercingétorix, dont le socle porte l'inscription suivante : « La Gaule unie, ne formant qu'une seule nation, animée d'un même esprit, peut défier l'univers. Napoléon III » ! Mais la défaite de 1870 relance les enjeux. La IIIe République, à la différence de bien des régimes, n'a pas été fondée par une victoire mais par une défaite, celle qui a provoqué la chute du Second Empire. Pour forger l'imaginaire national au travers de l'école publique, le recours à des héros vaincus, tels Jeanne d'Arc et Vercingétorix (c'était le cas de Napoléon Ier lui-même), s'impose, et les ouvrages de l'historien Camille Jullian en témoigneront avec talent. Dans des circonstances autres, le maréchal Pétain organisera en 1942 une vaste cérémonie au pied du monument de Gergovie ; et le général de Gaulle évoquera un peu plus tard ce « vieux Gaulois acharné à défendre le sol et le génie de notre race ». Pourtant, quelles qu'aient été les qualités militaires du généralissime improvisé, l'idée d'une « nation » gauloise est, en 52 avant J.-C., un anachronisme radical. César n'a cessé d'affronter des coalitions diverses et de circonstance, qui pouvaient même comprendre des Germains, lui-même utilisant toujours des auxiliaires gaulois. Si nous ignorerons à jamais les motivations profondes de Vercingétorix, la seule importance historique de son action éphémère est qu'il ait été vaincu, faisant ainsi passer les cités gauloises dans la sphère du monde romain, et de la protohistoire dans l'histoire.