Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Révolution française

La courte période allant de mai 1789 à novembre 1799, qui a reçu l'appellation de « Révolution française », constitue l'un des tournants essentiels de l'histoire de France.

Bien plus qu'un simple changement de régime, elle signe la naissance d'une nouvelle société, mettant en cause règles politiques et rapports avec le sacré, instituant même une autre façon de découper le temps. En outre, elle illustre immédiatement et durablement la possibilité de changer le monde qui hantera les consciences jusqu'à la fin du XXe siècle. Pour comprendre cette décennie, conflictuelle et hasardeuse, il est nécessaire de suivre le déroulement des faits mais aussi d'étudier les commentaires dont ils ont fait l'objet : les interprétations immédiates - car il y a peu d'autres exemples dans l'histoire d'une pareille volonté des acteurs de donner du sens à leurs actes - et celles données au cours des deux siècles suivants, qui ont été déterminés par la rupture révolutionnaire.

La naissance de la Révolution

Il est de tradition de dater le début de la Révolution aux 4 et 5 mai 1789, jours des séances d'ouverture des états généraux réunis à Versailles. Pourtant, la convocation de ces états signifie simplement que le roi et le gouvernement ont échoué dans leurs tentatives de trouver des appuis auprès des institutions et des élites (assemblées des notables, réunies en 1787) pour réformer le royaume : la situation n'est donc pas à proprement parler « révolutionnaire ». L'élection des députés (au nombre de 1 139 selon certains historiens, de 1 177 d'après les travaux récents de Timothy Tackett) a suscité de nombreux débats dans le pays et a été précédée de la rédaction de « cahiers de doléances ». Parmi les demandes exprimées dans ces cahiers, on trouve certes l'établissement d'une Constitution, mais dans le respect du cadre monarchique ; de même, les griefs contre les privilèges et les impôts ne s'accompagnent pas d'une contestation de l'organisation du royaume ou de la personne du roi. Rien de « révolutionnaire », donc, au sens où on l'entendra ensuite, sinon le fait que le monarque remet en cause les fondements même de son pouvoir en cherchant une nouvelle légitimité auprès d'une assemblée jamais réunie depuis 1614 et que, de surcroît, il agit sans précaution puisqu'il n'a pas réglementé les procédures de vote. La conjoncture particulière dans laquelle cette réunion se tient - agitation politique entre les différents courants porteurs d'idées réformatrices opposées, bouillonnement intellectuel, crise économique et rivalités sociales - va conduire à la transformation rapide de mouvements de mécontentement en torrent révolutionnaire.

L'historiographie du XIXe siècle, frappée par l'importance de l'enjeu d'alors et par la rupture qu'il introduit dans la vie institutionnelle, a consacré cette ouverture des États généraux comme le commencement de la Révolution. L'accent mis sur cet acte inaugural a permis que la mémoire collective ne se focalise pas uniquement sur la violence ultérieure. Mais des recherches récentes ont tendance à souligner le caractère arbitraire de cette datation : en effet, dès 1788, le pouvoir est « aux enchères », la monarchie absolutiste est déjà remplacée par une monarchie parlementaire, et la presse est libre de fait. Cette perspective conteste utilement les recherches des « causes » de la Révolution : elle souligne que les principales innovations politiques sont antérieures à mai 1789 et que la périodisation traditionnelle n'est due qu'à la mémoire militante du XIXe siècle. S'il n'est plus possible d'affirmer sans précaution que la Révolution commence par cette réunion, cette dernière n'en a pas moins mis en marche les engrenages politiques.

C'est en effet la vérification des mandats des députés qui est à l'origine de l'épreuve de force en ces journées du printemps 1789. Le débat n'est ni formel ni secondaire. Dès le 5 mai, les élus du tiers état - identifiés par leurs habits uniformément noirs et par leurs places éloignées du roi - exigent que cette vérification se déroule en commun, et non en chambres séparées par ordre (tiers état, noblesse et clergé). Cette question de procédure s'enracine dans leur culture juridique ; surtout, elle implique que l'unité de la nation se réalise autour du Tiers et que les votes ultérieurs aient lieu par tête et non par ordre, ce qui avantagerait ses représentants (les plus nombreux). Ce débat permet d'exprimer les graves divergences qui opposent depuis plusieurs années les partisans du retour à une monarchie aristocratique à ceux d'une monarchie réformée, soutenue par des élites ouvertes aux anoblis et aux roturiers éclairés ; la définition même de la nation française se joue dans ces querelles, qui attestent de la profondeur des désaccords, de la détermination des représentants du Tiers - décidés à tenir tête aux deux autres ordres, plus prestigieux - et de l'incapacité tactique du roi et de ses ministres. Pendant plus d'un mois, les États généraux demeurent incapables de passer outre cette étape initiale.

La force dénoue ce blocage : le 17 juin, le tiers état, se proclamant seul représentant de toute la nation, se transforme en « assemblée nationale ». Le 19, le clergé et quelques nobles libéraux décident de se réunir au Tiers. Mais la majorité de la noblesse et le roi refusent le fait accompli, si bien que, le 20, les députés du Tiers trouvent la porte de leur salle fermée. En réaction, ils s'installent dans la salle du Jeu de paume et prêtent serment de ne pas se séparer avant d'avoir donné une Constitution au royaume, rejetant ainsi tout compromis avec le roi. Celui-ci adopte alors une tactique qui se révèlera dangereuse : il cède, tout en rassemblant des troupes autour de la capitale et en renvoyant les ministres libéraux, dont Necker. La peur d'une répression militaire, dont la réalité ne fait pas de doute à en juger par les incidents provoqués par l'armée dans les jardins des Tuileries, conduit les Parisiens à chercher des armes. Dans cette quête, ils investissent, le 14 juillet, la Bastille, dont ils mettent à mort le gouverneur. La violence fait reculer le roi, qui accepte, le 17 juillet, d'arborer la cocarde tricolore, symbole de l'union de la nation et du roi.