Algérie (guerre d'). (suite)
La « pacification » concerne surtout la population musulmane restée fidèle ou ralliée. Les troupes de secteur la protègent des pressions des « rebelles », au besoin en la regroupant dans des camps ceints de barbelés. Les sections administratives spécialisées (SAS) leur fournissent des aides matérielles (assistance médicale gratuite, écoles, chantiers ou distribution de vivres...). Les services d'action psychologique diffusent une contre-propagande. Le but est d'isoler les « rebelles » en les privant du soutien populaire et en obtenant des renseignements et des engagements dans l'armée ou dans les formations supplétives (harkis, milices d'autodéfense...).
La logique de la guerre antisubversive conduit les chefs militaires à tenter de dicter leur politique au gouvernement et à revendiquer l'unité des pouvoirs militaires et civils. Après leur victoire sur le gouvernement de Pierre Pflimlin en mai 1958, ils l'obtiennent momentanément du général de Gaulle, qui nomme le commandant en chef Salan délégué général du gouvernement en Algérie, avant de le remplacer par le civil Delouvrier et le militaire Challe en décembre 1958.
Trois étapes se distinguent dans l'évolution de la situation militaire. De novembre 1954 à janvier 1957, comme on l'a vu, malgré ses difficultés des premiers mois, le FLN-ALN réussit à s'implanter dans toute l'Algérie du Nord et à y généraliser l'insécurité. Le reflux commence en février 1957, à la suite de l'intervention à Alger des parachutistes du général Massu, qui oblige le Comité de coordination et d'exécution (CCE) à fuir la capitale ; puis il se généralise au printemps de 1958, après l'échec de l'ALN basée en Tunisie à franchir massivement la « ligne Morice » (de février à mai 1958). De la fin 1958 à la fin 1960, l'ALN de l'intérieur, privée d'une grande partie de son soutien populaire, lutte pour sa survie contre le plan Challe (ratissage systématique de tous les bastions montagneux par les « réserves générales » puis par les commandos de chasse des secteurs), pendant que la direction extérieure du FLN, s'étant proclamée GPRA le 19 septembre 1958, tente de camoufler ses dissensions internes en portant la guerre en France (attentats du 25 août au 27 septembre 1958) et en intensifiant sa propagande à l'Est, à l'Ouest et dans le tiers-monde. Enfin, à partir de janvier 1961, la négociation s'engage avec le gouvernement français et prend le pas sur la lutte armée, sans que celle-ci s'interrompe. Malgré l'échec militaire de l'ALN (qui a pourtant formé des bataillons nombreux et bien équipés à l'extérieur des frontières), le FLN sort vainqueur de la guerre le 18 mars 1962.
Le dénouement : une victoire trahie ou inutile ?
Pourquoi cette issue paradoxale ? Les partisans de l'Algérie française parlent d'une victoire trahie : la guerre aurait été gagnée en 1960 si de Gaulle n'avait pas fait échouer une négociation séparée avec les chefs de la IVe wilaya de l'ALN (Algérois) en lançant un appel au GPRA, qui envoya une délégation à Melun (juin-juillet 1960). De Gaulle lui-même a parlé d'une victoire sur le terrain pour justifier sa décision d'ouvrir des négociations en position de force ; mais leur issue a rendu cette victoire inutile.
En réalité, parler de victoire en 1960 est exagéré. Même si l'ALN de l'intérieur a régressé à son niveau de 1955, le FLN dispose à l'extérieur d'une armée moderne, d'un appareil administratif, diplomatique et propagandiste efficace, et de réserves considérables dans la population algérienne immigrée en France, dans les prisons, les camps d'internement et les familles des militants tués ou emprisonnés en Algérie. La France aurait dû poursuivre sans relâche son effort militaire et financier pour éviter une nouvelle flambée. L'exemple d'autres mouvements nationalistes (palestinien, irlandais, basque) laisse penser que la lutte aurait pu durer plusieurs décennies.
On peut davantage parler d'une défaite politique de la France à partir de la reprise des manifestations populaires nationalistes dans les grandes villes en décembre 1960. Toutefois, si ces manifestations ont influé sur la décision du général de Gaulle de relancer les négociations avec le FLN (interrompues depuis l'échec de Melun en juillet 1960), elles ont suivi son désaveu de la francisation (14 juin 1960) et sa reconnaissance du droit de l'Algérie à former un État souverain (4 novembre 1960).
Sa décision n'a pas non plus été imposée par le coût économique et financier de la guerre, très supportable en 1960, ni par une pression extérieure irrésistible des États-Unis ou des Nations unies, même si la guerre d'Algérie a limité la liberté d'action et l'influence de la France dans le monde. De Gaulle a fait son choix en fonction de ce qu'il a jugé être l'intérêt de la France. Sa politique algérienne a été mûrement réfléchie, depuis son séjour à Alger en 1943-1944 jusqu'à son retour au pouvoir en mai 1958. Dès 1947, ses déclarations sur le statut de l'Algérie montrent qu'il ne croit plus à la possibilité de l'assimiler entièrement à la France. En 1955, il confie à plusieurs interlocuteurs que l'Algérie est destinée à l'indépendance ; il préconise pourtant dans une déclaration publique (30 juin 1955) son « intégration dans une Communauté plus large que la France » (mais non dans la France elle-même) et laisse croire à Jacques Soustelle qu'il approuve son action.
Rappelé au pouvoir en mai 1958 par les partisans de l'intégration, il est obligé de leur donner des gages verbaux (« Dix millions de Français à part entière » à Alger, « Vive l'Algérie française ! » à Mostaganem). Mais il fait vite comprendre qu'il réserve à l'Algérie une « place de choix » dans la Communauté, cadre constitutionnel permettant une transition vers l'indépendance jusqu'à son éclatement en 1960. Ses raisons se résument, selon des propos tenus à Alain Peyrefitte le 5 mars 1959, à l'impossibilité d'absorber dans la nation française « dix millions de musulmans qui demain seront vingt millions et après-demain quarante » sans ruiner la France et altérer son identité nationale.