Empire (Premier). (suite)
La création artistique sous l'Empire
Relativement prospère, auréolée des victoires qu'un chef charismatique lui offre sur les champs de bataille de l'Europe entière, la France du Premier Empire tourne-t-elle le dos à la tradition intellectuelle et artistique dont elle est l'héritière ? Il est, à cet égard, de bon ton d'opposer le siècle de Louis XIV au règne de Napoléon. Comparaison injuste, non seulement parce que l'Empire est de courte durée, mais aussi parce qu'il est faux d'affirmer que Napoléon a étouffé les lettres et les arts en France. Certes, la censure a existé : le marquis de Sade demeure interné à Charenton (il a déjà été incarcéré sous l'Ancien Régime et sous la Révolution), Mme de Staël s'exile (mais nul ne l'empêche d'écrire), Chateaubriand ne peut prononcer son discours de réception à l'Institut (mais il publie sans problème en 1809 les Martyrs). Certes, le bilan littéraire est décevant : on ne joue plus aujourd'hui les pièces de Picard (admiré par Stendhal) ni celles de Raynouard, mais elles méritent d'être redécouvertes, comme la poésie de Berchoux ou de Chênedollé. On ne peut en outre ignorer que le roman de Senancour Obermann et les écrits philosophiques de Maine de Biran datent de cette époque. De la même façon, la peinture, dominée par l'école de David, de tendance néoclassique (nourrie d'influences égyptiennes), est considérée comme froide et pompeuse. Mais les principaux peintres de cette période, Antoine Gros (les Pestiférés de Jaffa, le Champ de bataille d'Eylau), Prud'hon, Ingres, Isabey, Gérard, Girodet et surtout Géricault, dont le Cavalier blessé de 1814 annonce par son mouvement le romantisme, ne peuvent être esthétiquement négligés. La création musicale sous l'Empire, comme celle de la Révolution, est depuis peu redécouverte avec intérêt. Si la Marche triomphale de Jean-François Lesueur est, selon un mot de Napoléon qui la commanda pour le jour de son sacre, « triste comme la gloire », certaines de ses œuvres, ainsi que les symphonies de Méhul et de Gossec, ont des accents novateurs dont Berlioz a su s'inspirer. Il est vrai, toutefois, que les Italiens dominent la scène et l'orchestre : Gaspare Spontini (la Vestale), Luigi Cherubini et Gioachino Rossini, alors à ses débuts. Quant à l'architecture, que régentent Charles Percier et Pierre Fontaine auxquels on doit l'arc de triomphe du Carrousel, elle compte alors dans ses rangs Jean Chalgrin (l'arc de l'Étoile), Poyet, Alexandre Théodore Brongniart... Mais c'est sans doute dans les arts mineurs touchant à la décoration que s'affirme le mieux le style Empire : prédilection pour l'acajou et le bronze dans le mobilier, thème répétitif des aigles, des abeilles et des motifs égyptiens dans l'orfèvrerie. Le luxe dans lequel vivent la cour et la noblesse explique cet épanouissement, ainsi que l'essor des manufactures d'État : porcelaine de Sèvres, tapisseries des Gobelins, tapis de la Savonnerie. La France impériale n'a, en somme, pas à rougir de ses créateurs.
Les premiers craquements de l'Empire
Maître de la France et de l'Europe, Napoléon est en 1811 au faîte de sa puissance. Le pouvoir impérial devient alors de plus en plus monarchique, voire tyrannique. Les ministres à forte personnalité sont disgraciés, le rôle du Conseil d'État se réduit, le Corps législatif n'est pas écouté. On est véritablement passé d'une dictature de salut public à la IVe dynastie. Mais Napoléon ne peut invoquer que la victoire comme légitimité. Or, dès 1809, les premiers craquements de l'Empire sont perceptibles : ils ont pour motifs la guerre d'Espagne, dans laquelle Napoléon s'enlise, et le Blocus continental, qui se révèle une arme à double tranchant. Il contraint Napoléon à entrer en conflit avec le pape, qui entend rester neutre dans le conflit franco-anglais : les États pontificaux sont occupés en 1808, puis annexés ; le pape est arrêté en 1809. Pie VII riposte en excommuniant Napoléon et en paralysant la vie religieuse de l'Empire par son refus d'accorder son investiture aux nouveaux évêques.
En outre, une crise économique survient en 1810, née de la spéculation sur les denrées coloniales (sucre, café, coton...) proscrites par le Blocus continental. La crise naît en Allemagne et s'étend à la place financière de Paris, particulièrement vulnérable. Les banqueroutes se multiplient en 1811 ; l'industrie est frappée : 20 000 chômeurs à Paris sur 50 000 ouvriers. Cette même année, la récolte est mauvaise : le prix du pain monte dans la capitale à partir de mars 1812. Dans les villes, les grains disparaissent. Une émeute éclate à Caen, où est envoyée l'armée. La situation sociale se détériore d'autant plus que, depuis la guerre d'Espagne, le poids de la conscription se fait trop lourd : réfractaires et déserteurs se multiplient, créant un climat de fronde et d'insécurité. Heureusement, la récolte de 1812 est satisfaisante. Mais l'économie a été ébranlée. Partout en Europe, les contraintes du Blocus continental sont de moins en moins supportées (privation de sucre, de café, de coton), et les sentiments nationaux s'exacerbent (ce que traduisent les Discours à la nation allemande, de Fichte). Le complot du général Malet, en octobre 1812, révèle la fragilité du pouvoir impérial. À l'annonce (fausse) de la mort de Napoléon, alors en Russie, personne ne songe au roi de Rome pour le remplacer. La tourmente s'annonce, issue de Russie.
Les défaites
L'empire des tsars, qui rêve d'une Constantinople que Napoléon refuse de lui abandonner, et dont l'économie souffre du Blocus continental, prend ses distances avec la France. La guerre, devenue inévitable, éclate en 1812. Napoléon marche sur Moscou avec une armée de 500 000 hommes. Mais il est vaincu par l'immensité du pays et les rigueurs de l'hiver : le 13 décembre 1812, 20 000 soldats seulement repassent le Niémen. L'Allemagne se soulève alors sous l'impulsion de la Prusse, que rejoint en août 1813 l'Autriche. Napoléon est battu à Leipzig (16-19 octobre 1813). L'Allemagne napoléonienne a vécu. La Hollande se soulève à son tour et chasse les autorités françaises. La Suisse s'ouvre aux Autrichiens. En Espagne, Wellington triomphe à Vitoria le 21 juin 1813, puis envahit le midi de la France. À Naples, Murat s'entend avec les Anglais et menace le royaume d'Italie attaqué par les Autrichiens. Au début de 1814, Napoléon livre la campagne de France mais ne peut empêcher l'entrée des Alliés dans Paris le 31 mars. Talleyrand favorise la restauration de Louis XVIII. Napoléon abdique le 6 avril. La France est ramenée par le traité de Paris à ses limites de 1792. Le sort du Grand Empire est tranché aux congrès de Paris puis de Vienne, sans que les problèmes de nationalités soient pris en compte. L'Angleterre, qui a été la principale instigatrice de toutes les coalitions contre la France, s'y taille la part du lion : elle prend Malte et Le Cap et impose la réunion de la Belgique à la Hollande.