Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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république (suite)

Marie-Joseph Chénier pourra écrire en l'an II, dans le Chant du départ, cette phrase d'orgueil lapidaire : « Les républicains sont des hommes/Les esclaves sont des enfants ». Autrement dit, les citoyens des républiques ont atteint la maturité, les « esclaves » (sujets des monarchies) n'y sont pas encore parvenus. Ainsi, dès l'origine, en France, « république » évoque non pas un système constitutionnel quelconque, mais un système réputé bon.

Un enjeu durable de conflit

Mais les termes de la définition de la république sont bientôt alourdis de bien d'autres complications. En 1789, personne ne songeait à transposer le modèle athénien ou le modèle américain dans les grands États de la vieille Europe. La volonté de moderniser, de « révolutionner » la France a d'abord pris la forme d'une monarchie constitutionnelle. Ce n'est pas le lieu ici de chercher pourquoi ce système a échoué. Le fait est que, dès 1792, les adversaires de la Révolution s'accrochant à la forme monarchique de l'État, les partisans de la Révolution se sont résolus à l'utopie « république ». Ce fut le point de départ de plus d'un siècle de combat : une Ire République, du 21 septembre 1792 jusqu'à mai 1804 ; une IIe République, de 1848 à 1852 ; la IIIe, du 4 septembre 1870 au 10 juillet 1940 ; la IVe, de la Libération au 28 septembre 1958. Et la Ve, depuis lors. On notera, au passage, que les changements de numéros correspondaient jadis à des solutions de continuité : 1848 rétablit la république après un demi-siècle ou presque de monarchies diverses ; 1870 la rétablit après Napoléon III, 1944 la rétablit après Pétain... Seul le changement de 1958, de la IVe à la Ve, correspondra à un changement de Constitution au sein d'une continuité de la forme républicaine.

Quoi qu'il en soit, ces longs épisodes de combat farouche ont lourdement pesé sur la définition, ou plutôt les définitions, de la république.

La république selon ses fondateurs

Le fait caractéristique et durable de la situation française, au long du XIXe siècle et dans une grande part encore du XXe, est l'association étroite qu'établissent les partisans de la république entre ce qu'elle est stricto sensu - un système constitutionnel - et ce qui l'a accompagnée - l'ensemble des valeurs de la Révolution. En clair, au XIXe siècle, un bon républicain n'est pas seulement un homme qui refuse la monarchie, pas seulement un citoyen épris des principes élémentaires de la modernité politique (la liberté, traduite par le règne du droit et de la loi, et la souveraineté du peuple, traduite par l'élection), mais aussi quelqu'un qui aime et respecte la grande Révolution, qui aime la patrie (France messagère du droit nouveau), qui aime le peuple (ces classes pauvres parmi lesquelles, à Paris et à Lyon, le combat républicain a recruté ses fantassins), qui tient à la laïcité de l'État et se méfie du clergé catholique, et enfin qui tient au primat des assemblées élues, se méfie du pouvoir exécutif, voire de toute personnalité excessivement dominante. Ce système d'exigences républicaines, en quelque sorte supplémentaires, est à l'évidence un concentré d'expériences historiques : on aime la Révolution parce que la république en est « la fille » ; on déteste l'Église catholique parce que, dès 1791 et jusqu'au cœur du XXe siècle, elle a, au premier chef, fourni une idéologie et une base sociale au camp de la monarchie ; on déteste les grands hommes, les héros et les chefs parce que, quand ils ne trahissent pas la cause, tel Mirabeau - ou encore tel Danton (pour les robespierristes) ou Robespierre (pour les thermidoriens) -, ils ont la fâcheuse habitude, tels les Bonaparte, de faire des coups d'État. Il est bien connu que, pour un « bon républicain », vers 1900, un républicain autoproclamé qui agirait en ami du clergé ou bien en partisan d'un renforcement de l'exécutif ne saurait être un républicain véritable.

Ce système de pensée est, bien entendu - on l'aura reconnu -, celui de la gauche. Il apparaît aussi, très vite, comme le contenu de la « tradition républicaine ». Il constitue enfin ce que nous avons proposé d'appeler une « définition maximale de la république » : le droit strict, plus quelques valeurs contingentes et complémentaires.

Exaltée par le combat, par le martyre parfois (après 1851), cette idée de la république a suscité assez naturellement des phénomènes de vénération, de culte, d'imploration rhétorique (« La République nous appelle... », « la Grande République/Montrant du doigt les cieux », etc.) ; c'est à elle que s'attachent aussi les phénomènes de personnification et de multireprésentation, toute cette mystique et toute cette symbolique qui vont bien au-delà du juridisme strict.

La république selon ses adeptes tardifs

La situation est d'abord restée symétrique. De 1800 à 1848, l'idée de république n'a évoqué, pour le camp de la contre-révolution, de la monarchie et de l'ordre, que des idées hautement répulsives, au mieux d'utopie absurde, au pis de terrorisme et d'impiété conjugués. Tout devait changer lorsque la république gagnerait la partie, deviendrait le régime durable de la France, et recevrait en conséquence des vagues d'adhésions nouvelles.

Dès 1848, de hardis précurseurs comme Alexis de Tocqueville, étant trop libéraux pour trouver tolérables le royalisme « légitime », passéiste et clérical du comte de Chambord, le royalisme incertain et corruptible des Orléans ou le « sabre » bonapartiste, envisageaient, en quelque sorte par élimination, une république à l'américaine, qu'on pourrait faire durable. C'est le calcul que devait reprendre et faire triompher Adolphe Thiers entre 1871 et 1873. La république a été fondée lorsque la gauche a reçu le renfort décisif du plus brillant des transfuges de l'orléanisme. Dès lors devait se constituer progressivement, à côté du républicanisme essentiel de la gauche, un républicanisme issu de la droite ; à côté de la république des fondateurs (ou de la « tradition républicaine »), une république des ralliés ; à côté de la république à définition maximale, une république à définition minimale.