écrivain (Orléans 1873 - Villeroy, Seine-et-Marne, 1914).
L'itinéraire intellectuel et spirituel de Charles Péguy, entre socialisme et patriotisme, entre République et Église, recoupe, de l'affaire Dreyfus à la Grande Guerre, l'histoire d'une génération. Originaire d'une famille pauvre (sa mère est rempailleuse de chaises), orphelin de père, il est marqué par l'école primaire de la République et l'enseignement intransigeant de l'Église catholique. Boursier de l'État, il poursuit de brillantes études classiques, qui le conduisent en 1894 à l'École normale supérieure, où il devient un familier du bibliothécaire Lucien Herr. Acquis aux idées socialistes, il apprend la typographie et rédige une première Jeanne d'Arc (1897). Il s'engage avec ferveur dans la défense du capitaine Dreyfus, fait le coup de poing à la Sorbonne contre les nationalistes, puis démissionne de l'École normale, fonde un foyer et devient en mai 1898, avec l'appui de Jaurès, Blum et Herr, le gérant de la Librairie socialiste, qui deviendra la Société nouvelle de librairie et d'édition.
Sa mystique révolutionnaire se heurte bientôt à la politique socialiste de Guesde et de Jaurès, avec lesquels il rompt violemment dès 1899. En janvier 1900, il publie le premier numéro des Cahiers de la quinzaine, qu'il dirigera jusqu'à la guerre, par-delà les difficultés financières, les charges de famille et un amour sans espoir. Péguy accueille dans ses Cahiers des auteurs d'inspiration républicaine ou socialisante, Romain Rolland, André Suarès, Julien Benda, les frères Tharaud, ainsi que son œuvre personnelle, extraordinaire témoignage d'un homme libre, intransigeant, demeuré fidèle à ses engagements dreyfusards et républicains (Notre jeunesse, 1910 ; l'Argent, 1913). Hanté par la menace militaire de l'Allemagne (Notre patrie, 1905), il devient officier de réserve et cultive une mystique de la France. Il fait retour à la foi catholique à partir de 1908, et puise dans sa croyance retrouvée l'inspiration fervente et douloureuse du Mystère de la charité de Jeanne d'Arc (1910), des Porches et des Tapisseries ; il accomplit en 1912 le pèlerinage de Chartres et défend l'œuvre de Bergson. Mobilisé dans l'infanterie, il est tué, à la tête de sa section, durant la bataille de la Marne. Les strophes qu'il avait écrites dans Ève (1913) - « Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle » - sont, selon Daniel Halévy, « le poème même de cette guerre », et son influence, faible de son vivant, sera profonde dans la réflexion catholique (Maritain, de Lubac) et nationale (de Gaulle) de l'après-guerre.