Clemenceau (Georges), (suite)
« Le Père la Victoire ».
• L'entrée en guerre réveille l'ardeur du polémiste : les faiblesses, les fautes, les insuffisances des responsables, sont impitoyablement dénoncées dans son journal lancé en mai 1913, l'Homme libre, qui, interdit par le ministre de l'Intérieur en septembre 1914, reparaît sous le titre de l'Homme enchaîné. L'accession à la présidence des commissions sénatoriales de l'Armée et des Affaires étrangères, la réunion de « comités secrets » (séances à huis clos) du Sénat, représentent pour lui des occasions de se livrer à un sévère contrôle sur les gouvernements successifs : dans ce cadre, il s'informe, exerce des pressions, se soucie du sort des soldats, engage, en 1917, le combat contre le « défaitisme ». En novembre 1917, alors qu'une crise profonde sévit sur le front et à l'arrière, le président Poincaré, que Clemenceau avait combattu lors de son élection en 1913, fait appel à lui pour former le gouvernement. Le Tigre constitue un gouvernement composé d'hommes choisis à titre personnel, sans considérations de dosage partisan. Il ne rencontre guère d'opposition, sinon celle des socialistes et de certains radicaux. Il dirige alors avec un style très personnel, réglant les affaires entouré d'un petit nombre de conseillers, notamment le général Mordacq et Georges Mandel, mais faisant fréquemment appel à la confiance des Chambres. C'est avec l'appui de l'opinion publique, et en étroite coopération avec les chefs militaires, que le Tigre, mû par le souci constant de maintenir le contact avec les combattants, mène le pays à la victoire finale. Celle-ci acquise, il lui reste à négocier les conditions de paix.
Il ne partage nullement les vues du président américain Wilson concernant l'organisation future de l'Europe, mais il doit tenir compte à la fois des impératifs posés par la sécurité de la France et du point de vue des alliés anglo-saxons : le traité de Versailles (28 juin 1919) résulte d'un compromis entre ces différentes exigences. Clemenceau pense alors terminer sa carrière par l'accession à la magistrature suprême. Même si la nouvelle majorité de la Chambre « bleu horizon » admire l'homme qui a conduit la guerre, elle se méfie de l'anticlérical ; et, de nombreux parlementaires de tous bords ayant subi ses attaques ou ses sarcasmes, l'un de ses vieux rivaux, Aristide Briand, peut aisément mener la campagne qui aboutit à l'élection de Paul Deschanel à la présidence de la République (janvier 1920). Déçu et amer, le Père la Victoire s'éloigne définitivement de la vie politique. Il publie ses réflexions dans une ultime profession de foi positiviste : Au soir de la pensée (1927).
« Complice des communards », « tombeur de ministères », « briseur de grèves », « dictateur », mais aussi « Père la Victoire », Clemenceau laisse une image contrastée. Mais on peut observer que toute sa vie politique, si remplie et si ardente, a témoigné de son souci de concilier deux aspirations complémentaires : l'affirmation de l'autorité de l'État républicain, garant des libertés, et la primauté de l'individu, qu'il a toujours considérée comme la finalité dernière de l'organisation collective.