Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
N

nationalisation, (suite)

Mais, dès le début de la crise, les partis de gauche, qui ont adopté un programme commun (1972), proposent de nouvelles nationalisations. Les motivations politiques, économiques et sociales se conjuguent : « briser la domination du grand capital », constituer « le fer de lance d'une grande politique industrielle », instaurer dans l'entreprise une nouvelle citoyenneté. Suscitant l'opposition vigoureuse de la droite, la loi de nationalisation de février 1982 transfère à l'État cinq sociétés industrielles (la CGE - c'est-à-dire la Compagnie générale d'électricité -, Saint-Gobain, Pechiney-Ugine-Kuhlmann, Rhône-Poulenc et Thomson-Brandt), trente-neuf banques et deux compagnies financières (Paribas et Suez). En outre, nationalisée de fait, la sidérurgie (Usinor et Sacilor) le devient en droit. Le secteur public connaît alors son extension maximale.

Remises en cause.

• Si les nationalisations permettent de sauver des entreprises en difficulté, elles sont coûteuses et se révèlent inadaptées au contexte européen et international, plus favorable au libéralisme qu'au keynésianisme de l'après-guerre. La gauche au pouvoir prend acte de ce retournement : dès 1984, le gouvernement de Laurent Fabius assigne aux entreprises publiques les impératifs de « modernisation » et de « compétitivité », faisant passer les ambitions sociales et la défense de l'emploi au second plan ; en 1988, lors de la campagne électorale qui précède l'élection présidentielle, François Mitterrand se prononce pour le « ni, ni » - ni privatisations, ni nationalisations. Mais le mouvement de balancier est durablement reparti dans un sens favorable au secteur privé : en 1986-1988, puis en 1993-1997, la droite, alors majoritaire, développe un programme de privatisations qui va jusqu'à remettre en cause les nationalisations opérées par le général de Gaulle à la Libération. Le gouvernement de la gauche plurielle (1997-2002) dirigé par Lionel Jospin poursuit cette politique de dénationalisation. L'ère de l'État producteur semble alors se refermer avec le siècle qui l'avait porté à un apogée.

nationalisme.

Le mot est difficile à définir. Le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle (1876) de Pierre Larousse parle d'une « préférence aveugle et exclusive ».

Cette subordination de toutes les autres ambitions au seul intérêt de la nation conduit à une volonté d'hégémonie et d'expansion. Cependant, le nationalisme peut revêtir un autre aspect : celui d'une farouche détermination d'un groupe ou d'une minorité à défendre son existence et à user des moyens nécessaires pour augmenter sa force. Ces deux aspects ne sont pas contradictoires et peuvent se conjuguer, mais ils impliquent une ambivalence.

Selon l'historiographie traditionnelle, c'est sous la Révolution française qu'est apparue la forme moderne du sentiment national. Cependant, des prémices du phénomène sont décelables bien avant la fin du XVIIIe siècle. Le rassemblement des milices communales du Nord par Philippe Auguste à la bataille de Bouvines (1214) est souvent considéré comme l'indice d'une émergence du sentiment national. Autre manifestation de « nationalisme » : l'épopée de Jeanne d'Arc, au début du XVe siècle, montre le profond attachement que ressentent pour le roi et le pays de France les habitants des régions proches du duché de Lorraine, alors terre d'Empire. Jeanne sait déjà « ce minimum d'histoire de France nécessaire au sentiment d'une identité commune » (Colette Beaune). À l'époque moderne, la croissance de l'État-nation enrichit et diversifie le sentiment national : réconciliateur et rassembleur sous Henri IV ; supérieur et s'élevant au-dessus des déchirements des factions pour incarner la raison d'État sous Louis XIII et Richelieu ; obstiné et hégémonique sous Louis XIV. Au XVIIIe siècle, une nouvelle image de la société et du pays est forgée par une élite sociale qui transforme le regard porté sur la nation.

L'élan révolutionnaire.

• Il est clair que c'est la Révolution française qui marque un changement décisif en incarnant la nation dans le seul tiers état, appelé par Sieyès à « devenir tout ». Aussi la souveraineté est-elle transférée du roi à la nation. La Révolution définit le principe des nationalités et un nouveau mode de relations internationales, dans lequel les nations - comme les individus - sont libérées de l'oppression et jouissent d'un droit naturel à leur épanouissement et à leur affirmation. En outre, la Révolution précise, sous la Convention, les obligations qui s'imposent en vertu du principe nouveau : elle décide d'accorder « fraternité et secours à tous les peuples qui voudront recouvrer leur liberté » (19 novembre 1792). Par ce biais s'insinue une forme de nationalisme hégémonique. Enfin, avec la levée en masse, est inauguré un nouveau type de guerre, qui mobilise toute la jeunesse et toutes les forces de la nation. C'est pourquoi un adversaire de la Révolution française, comme l'abbé Barruel, a stigmatisé, sous le vocable de « nationalisme », ce changement intervenu dans les rapports entre les nations. Il est vrai qu'un nationalisme oppressif en est la conséquence et, qu'il est à l'origine, sous l'Empire, de l'éveil des nationalismes prussien et espagnol.

Le retour de l'ordre dynastique au congrès de Vienne (1815), fondé sur la restauration du principe de légitimité monarchique et le rejet du droit des peuples, n'éteint pas les revendications nationales : en 1830, comme en 1848, les insurgés se battent autant pour la démocratie que pour une politique extérieure hardie, favorable au principe des nationalités. Napoléon III se fait le champion de ce principe et le garant d'un nouvel ordre européen, ce qui lui vaut un immense prestige, au moins dans les classes populaires urbaines.

La blessure de Sedan.

• La guerre franco-allemande de 1870, marquée par une sorte de première « union sacrée » lors de la mobilisation, puis par l'épreuve de l'occupation d'une partie du territoire et du siège de Paris, est à l'origine d'une mutation décisive du sentiment national. Il n'est pas surprenant que la défaite ait provoqué une véritable crise de l'identité nationale. La force du modèle prussien devient considérable et l'opinion, en plein désarroi, connaît « la crise allemande de la pensée française » (Claude Digeon). Quelles valeurs faut-il transmettre pour que la France retrouve sa place en Europe et dans le monde ? Michelet indique à la France ce chemin : il lui faut prendre la tête d'une croisade contre la Prusse et redevenir le « guide de l'humanité » (la France devant l'Europe, 1871).