Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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fêtes (suite)

Dans le même temps, Noël se referme sur l'univers familial : naissent bientôt ces échanges de cadeaux qui ont pris, de nos jours, une importance si grande. En Provence, au XVIIIe siècle, les crèches passent des églises aux intérieurs domestiques, et justifient désormais la Foire aux santons, qui se tient à Marseille. Les fêtes d'hiver reculent, les rites carnavalesques se déplacent vers la Fête-Dieu, le charivari se fait plus rare, le romérage se laïcise. La fête est de plus en plus spectacle, comme en témoigne partout la multiplication des Te Deum, des feux d'artifice qui attirent les foules, comme lors du mariage du futur Louis XVI avec Marie-Antoinette : la presse dans les rues de Paris fait au moins 132 morts !

Pendant la Révolution, le mouvement populaire emprunte au carnaval, désormais mal compris, la forme des mascarades antireligieuses. Mais, pour l'essentiel, c'est alors qu'est accélérée la disparition d'un système de fêtes déjà vieilli. Si, à la Restauration, celles-ci semblent renaître, les abbayes de jeunesse, elles, ont vécu, et les rites agraires n'alimentent plus qu'un registre folklorique ; c'est au titre de spectacles ou de fêtes foraines que romérages ou ducasses survivent. Les grandes cérémonies religieuses perdent aussi leur contenu festif, pour ne plus être que solennités recueillies.

Rares sont les créations. La Sainte-Catherine, fête née au XIXe siècle, donne lieu à des réjouissances qui, parfois, rappellent les arbres de Mai : les filles de 25 ans encore célibataires sont coiffées d'un chapeau vert et jaune ! Mais la fête a lieu en novembre, au bureau et non aux champs ; et aujourd'hui, à l'époque où le mariage est redevenu tardif, ou rare, elle survit difficilement, après avoir failli disparaître, reconduite comme rite d'intégration dans l'entreprise.

La naissance de la fête politique.

• Elle correspond à l'évolution d'une société en voie de démocratisation. Les fondements en sont triples : le 14 juillet 1790, pèlerinage de la France entière vers son centre, le roi ; le triomphe impérial, qui s'accompagne des défilés ou des revues de l'armée, image de la nation ; les obsèques solennelles, qui donnent aux grandes cérémonies leur aspect de commémoration. Le produit de cette synthèse est la « fête de souveraineté », qui connaît sa plus belle expression au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe, à l'occasion des victoires militaires, des Expositions universelles ou des anniversaires de la fondation du régime. Le canevas en est toujours le même : le matin, défilé ou revue, puis célébration religieuse ; vin d'honneur ou banquet au milieu de la journée ; l'après-midi est réservé aux jeux, aux spectacles, avant que, le soir, ne s'ouvre le bal. Le 14 Juillet devient fête nationale en 1880 avec un succès populaire quasi immédiat, signe du ralliement du pays à la République.

Le banquet prend une ampleur considérable, organisé autour du président de la République, ou, dans les départements, autour du préfet ; au village, il se réduit quelquefois au tonneau que l'on met en perce sur la place ; la fête elle-même est parfois célébrée... en juin ou en août pour ne pas entraver les travaux des moissons ! La distribution de vivres aux indigents, prolongement tardif des Te Deum royaux, ne disparaît tout à fait qu'après la Première Guerre mondiale. La République laïque se passe des solennités religieuses. Inversement, le sport fait son entrée : courses vélocipédiques dès les années 1880, démonstrations gymniques, puis matchs de football au XXe siècle. L'hommage aux morts prend plus d'importance après la Grande Guerre.

La fête, centrée autour de la figure du chef de l'État, célèbre le régime, son ancrage dans le temps long, signe de légitimité : ainsi pour le sacre de Charles X ou, sous la IIIe République, le 14 Juillet. Le modèle est parfois copié à d'autres fins. Au Creusot, les Schneider invitent, pour l'inauguration d'une statue à l'effigie du chef de famille ou pour un événement familial, le clergé, l'armée, et leurs ouvriers - tout le Creusot, ou peu s'en faut -, mais aucun représentant de la République. La souveraineté qu'ils célèbrent, c'est la leur !

Fêtes d'opposition.

• Entre 1880 et l'époque du Front populaire, les forces de gauche, qui font appel à des masses qu'elles doivent convaincre, créent un autre type de fête. Pour développer le sentiment identitaire de la classe ouvrière et mettre en scène la légitimité de son action, on reprend le canevas des fêtes de souveraineté : défilé avec fanfares socialistes, visite aux tombes des victimes du travail, banquet, compétitions sportives, bal enfin. Le 1er Mai est la grande fête ouvrière, antithétique de la fête « bourgeoise » du 14 Juillet, et reposant pourtant sur les mêmes structures. Mais on sait aussi réutiliser les manifestations folkloriques, qu'on ranime ici ou là. Le 1er Mai est une fête fleurie, et certains rites rappellent les anciennes fêtes du printemps. L'enrichissement vient aussi de la modernité : le cinéma et le jazz, dès les années vingt et trente, apparaissent lors du 1er Mai. Cette ouverture atténue les aspects de « culture de bastion », fermée sur l'extérieur, qui marque certaines municipalités communistes.

Les différences entre les deux fêtes s'atténuent avec la victoire du Front populaire. La fête de l'Humanité, à partir de 1934, donne la « centralité » qui manquait encore aux fêtes du Parti communiste. Le 1er Mai est accordé comme jour chômé aux employés de l'État en 1937, avant d'être déclaré, non pas « fête des travailleurs », mais « du travail » par le régime de Vichy en 1941 ! Inversement, la droite affronte le problème d'une reconquête du pouvoir, en 1936, puis à la Libération. Tout en continuant de se donner pour des fêtes de souveraineté, ses manifestations sont bien d'opposition. L'Église catholique, soucieuse de conserver ses fidèles ou de convaincre, modèle ses patronages en s'inspirant des associations laïques ou des organisations syndicales chrétiennes, la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) ou la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC).