Héloïse, (suite)
La destinée d'Héloïse est difficilement séparable de celle d'Abélard, qui a été son professeur, son amant, son mari, puis son directeur de conscience. Née dans une famille noble, la jeune Héloïse reçoit une première éducation chez les religieuses d'Argenteuil, non loin de Paris. Son oncle Fulbert, chanoine de Notre-Dame de Paris, entreprend de parfaire cette éducation et s'assure le concours de Pierre Abélard, qui enseigne les arts libéraux à l'école de Notre-Dame. Entre le brillant dialecticien, alors âgé de 36 ou 37 ans, et sa jeune élève de 15 ans commence une passion pour la vie, sur laquelle nous renseignent un récit autobiographique, l'Histoire de mes malheurs, adressé presque vingt ans plus tard par Abélard à un ami anonyme, et la correspondance - elle aussi, tardive - échangée avec Héloïse, dont l'authenticité a été mise en doute sans qu'on puisse la nier totalement.
Bientôt, la jeune fille est enceinte : en Bretagne, chez l'une des sœurs d'Abélard, elle donne naissance à un fils, prénommé Astralabe. D'abord réticente à l'idée d'un mariage qui compromettrait la carrière de son amant, elle finit par consentir à l'épouser, mais doit subir les pressions de Fulbert pour rendre cette union publique, ce qui l'amène à se réfugier au couvent d'Argenteuil. Après la castration d'Abélard par les sbires de Fulbert (1117), et avant même que son époux ne se fasse moine, Héloïse prend le voile à Argenteuil, où elle deviendra prieure. Suger, abbé de Saint-Denis, ayant dissous cette communauté de moniales, Héloïse trouve refuge avec ses compagnes, en 1130, au Paraclet, ermitage champenois fondé en 1122 par Abélard et, depuis, tombé en déshérence. Elle s'y montre une abbesse remarquable, parvenant à faire prospérer les biens de la fondation, stimulée par l'aide spirituelle de celui qui est encore son mari et qui vient lui rendre quelques visites. Les époux ne se verront plus après 1132 ; ils n'échangeront dès lors que des lettres fameuses, encore empreintes chez Héloïse des brûlures d'une passion toujours vivace. Grâce à l'abbé Pierre le Vénérable, le philosophe, mort en disgrâce à Cluny en 1142, est enseveli au Paraclet, où Héloïse vient enfin le rejoindre dans la mort en 1164. Cette trajectoire idéale, menant de l'amoureuse passionnée à la pieuse abbesse, ne peut que séduire les théoriciens de l'amour : dès le XIIIe siècle, Jean de Meung fait tenir à Héloïse, dans son Roman de la Rose, un vif plaidoyer contre le mariage et, quelque temps plus tard, traduit du latin en français les Espitres de Pierres Abaelart et Heloys sa fame. C'est cette figure de fougueuse amoureuse et de femme éclairée - inspiratrice d'une Nouvelle Héloïse rousseauiste - qui est restée dans la mémoire collective.