Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Jeanne d'Arc (suite)

Charles VII décide de s'appuyer sur la jeune fille, devenue chef de guerre, et de faire une nouvelle tentative pour lever le siège d'Orléans. Assiégée depuis le mois d'octobre de l'année précédente, la cité a en effet une valeur stratégique autant que symbolique : sa capitulation ouvrirait aux armées d'invasion l'accès à la France du Midi, et leur permettrait d'opérer une jonction avec la Guyenne, fief de la couronne d'Angleterre. Celui qu'on nomme alors le Bâtard défend la ville de son demi-frère Charles, duc d'Orléans, prisonnier outre-Manche. Il est blessé au moment de l'arrivée de Jeanne, et se remet difficilement d'une attaque désastreuse menée contre un convoi de ravitaillement anglais. Au désespoir des habitants s'ajoute le spectre de la famine. Dans ce contexte, nul ne peut rester insensible à la rumeur publique, qui fait état d'un secours providentiel apporté par une jeune fille nommée « Jeanne la Pucelle ». L'entrée de Jeanne à Orléans, le 29 avril, soulève l'enthousiasme de la population. « Les Orléanais, écrit un anonyme, se sentaient déjà tous réconfortés et comme désassiégés par la vertu divine qu'on leur disait être en cette simple pucelle. » Jeanne envoie alors à l'ennemi une lettre de sommation dont certaines formules sont demeurées fameuses : « Je suis ici envoyée de par Dieu, le Roi du ciel, corps pour corps, pour les combattre et bouter hors de toute France. » C'est avec une rapidité foudroyante que Jeanne mène l'assaut contre les bastides anglaises, ouvrages fortifiés qui bloquent les principaux points d'accès de la ville. Le 8 mai, après un face-à-face des deux armées sous les remparts, l'ennemi se retire en bon ordre. Il aura suffi de quelques jours pour lever un siège de sept mois. La soudaineté de l'événement retentit en France et dans le reste de l'Europe, et ce premier contact de Jeanne avec les armes la fait entrer d'emblée dans la légende.

À Loches, où elle rejoint le roi, elle le presse de se rendre à Reims et de recevoir sans plus tarder l'onction du sacrement. Débute alors, sous la direction de la Pucelle et du duc d'Alençon, la glorieuse campagne de la Loire, dont l'objectif est de garantir le passage de l'armée royale lorsqu'elle s'engagera sur la route de Reims. La prise de Jargeau, de Meung-sur-Loire, de Beaugency, et, surtout, la bataille de Patay (18 juin) répandent le nom de Jeanne dans toute la France. Reste néanmoins une incertitude majeure : la ville du sacre et les étapes qui y conduisent sont situées en plein territoire bourguignon. Mais la soumission de Troyes va entraîner celles de Châlons-sur-Marne et de Reims. Le 17 juillet, Charles VII est sacré par Regnault de Chartres, archevêque de la ville : oint de l'huile sainte qui, selon la légende, aurait été apportée par une colombe lors du baptême de Clovis, il possède désormais la légitimité mystique de ses prédécesseurs. Jeanne, que ses parents ont rejointe pour l'occasion, se tient auprès du roi. La double mission qu'elle s'était assigné est accomplie, mais il lui reste à délivrer Paris du joug anglais.

De l'échec au bûcher

Si l'épisode du sacre marque l'apogée de l'épopée de Jeanne, il amorce également son déclin. Commencent, en effet, d'intenses manœuvres diplomatiques, dont l'efficacité implique la marginalisation des initiatives individuelles trop fougueuses. Les conseillers de Charles VII, Georges de La Trémoille et Regnault de Chartres en tête, préconisent un rapprochement avec les Bourguignons : des négociations secrètes entre les émissaires du roi et ceux du duc Philippe III le Bon aboutissent à la conclusion d'une trêve, mais de courte durée. Dans ces conditions, l'acharnement de Jeanne à poursuivre sa mission ne peut qu'apparaître inopportun au roi et à son Conseil. Alors que la jeune fille entend bien profiter des énergies renaissantes et marcher sur la capitale, Charles VII songe à clore les opérations militaires et à ouvrir le théâtre des négociations. Au mois de septembre, Jeanne et le duc d'Alençon mettent le siège devant Paris. Mais, le 21, parvient l'ordre royal qui brise net leur élan : l'armée du sacre est dissoute. Le malentendu qui régnait depuis plusieurs semaines éclate au grand jour : d'initiatrice providentielle du redressement national, la Pucelle est devenue l'élément indésirable de l'échiquier politique.

Durant l'hiver 1429-1430, La Trémoille a l'idée de faire appel à elle pour combattre les « bandes de routiers » qui écument le pays. Le plus célèbre des chefs de ces bandes, Perrinet-Gressart, est alors solidement retranché dans le Nivernais, et vend alternativement ses services aux Anglais et aux Bourguignons. Jeanne accepte de conduire ces opérations, mais l'assaut de La Charité-sur-Loire se solde par un échec. Elle connaît alors une période d'oisiveté forcée à Sully-sur-Loire, où le roi la rejoint au mois de février. Quand Philippe le Bon met le siège devant Compiègne, Jeanne se porte au secours de la ville, défendue par les partisans de Charles VII. Elle n'est plus elle-même qu'un chef de bande, ayant engagé sur ses propres deniers deux cents mercenaires. Au cours d'une sortie, le 24 mai 1430, elle est capturée par les troupes de Jean de Luxembourg, vassal du duc de Bourgogne.

Après plusieurs mois de tractations, le duc de Bedford la « rachète » à Jean de Luxembourg. La prisonnière est alors remise à un tribunal d'Inquisition présidé par Pierre Cauchon, évêque de Beauvais à la solde d'Henri VI, qui entend la convaincre d'hérésie. Le procès obéit à des ressorts complexes. La foi y sert, évidemment, d'alibi à une volonté politique. Condamner Jeanne est le moyen, pour les Anglais, de ruiner la légitimité du roi, qui lui doit sa couronne. Mais l'acharnement des prélats et des théologiens vaut bien celui de l'envahisseur : il ne saurait être question de tolérer la « doctrine » exaltée de cette jeune fille qui se dit en communication directe avec Dieu et les saints, et menace de ce fait la subordination au pouvoir clérical. Cet enchevêtrement de motifs politiques et religieux explique le statut équivoque de la prisonnière. Accusée d'hérésie, elle devrait normalement être détenue dans les prisons ecclésiastiques ; or elle est enfermée dans les geôles ennemies. C'est à Rouen, ville sous domination anglaise, que s'ouvre, le 21 février 1431, la première séance publique du procès. On reproche à Jeanne le port de vêtements d'homme, qui attente à la pudeur féminine, l'imposture de ses prétendues visions et son insoumission à l'Église. Même si l'ensemble du procès obéit aux règles de la légalité inquisitoriale, l'attitude des juges témoigne d'une évidente partialité. Leur dialectique retorse cherche la contradiction dans les discours de l'accusée, et exploite systématiquement son ignorance en matière de foi. Jeanne affronte néanmoins l'épreuve sans fléchir. Ses réponses limpides et sensées, son aptitude à jouer des registres de l'humour ou de l'effusion mystique, auraient désarmé des juges moins acharnés à sa perte. Le procès traîne, et les Anglais donnent des signes d'impatience. Le 27 mars, on lit à l'accusée soixante-dix articles, qui constituent autant de chefs d'accusation. Le 2 avril, les articles sont ramenés à douze : Jeanne est déclarée suspecte d'hérésie, invocatrice de démons, idolâtre, menteuse, schismatique et dévergondée. Le 24 mai, très affaiblie, elle met une croix en signe d'approbation au bas d'une formule d'abjuration qu'on lui présente. Mais elle se ressaisit rapidement, et, le 28, reprend ses habits d'homme. Jugée hérétique et relapse, elle est brûlée à Rouen, le 30 mai, sur la place du Vieux-Marché.