Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Jeanne d'Arc (suite)

Le dossier sera rouvert quelques années plus tard. Charles VII, après avoir reconquis Paris et être entré dans Rouen, ordonne une enquête en 1450. Cependant, il faudra cependant attendre 1455 pour que débute, sur la plainte de la mère de Jeanne, un nouveau procès d'Inquisition. Le 7 juillet 1456, le procès et la sentence de 1431 sont déclarés « nuls, invalides, sans valeur et sans autorité ». La décision qui réhabilite la Pucelle est proclamée solennellement dans tout le royaume.

Une légende convoitée

Jeanne d'Arc est de ces personnages historiques dont la destinée semble taillée dans la matière même de la légende. Son origine obscure, qui ne la prédestinait nullement à jouer un rôle de premier plan, la brièveté foudroyante de son action, sa mort tragique, constituent autant d'éléments qui la marquent d'un sceau exceptionnel. De son vivant même, la voix du peuple et la plume des poètes (Christine de Pisan, Alain Chartier) se sont emparées d'elle. Ce processus de mythification n'en connaîtra pas moins une longue éclipse, de la Renaissance au siècle des Lumières. Ni l'époque humaniste, ni le classicisme, ni les philosophes du XVIIIe siècle, ne seront sensibles à sa geste glorieuse. Dans un poème héroï-comique intitulé la Pucelle (1762), Voltaire ira même, jusqu'à la tourner en ridicule et jusqu'à la traiter d'« idiote hardie qui se croyait une inspirée ». La veine rationaliste s'accommode mal des « voix », visions et autres vocations providentielles. C'est seulement au XIXe siècle, à la faveur du mouvement romantique et du catholicisme renaissant, que le nom de Jeanne fait un retour triomphant dans la mémoire et l'imaginaire collectifs. Dès lors, innombrables seront les œuvres qui s'empareront de la destinée de Jeanne, et qui lui imposeront les traitements les plus divers : tragédie romantique de Schiller (Jungfrau von Orleans, 1801), opéra héroïque de Verdi (Jeanne d'Arc, 1845), trilogie dramatique de Péguy (Jeanne d'Arc, 1897), oratorio de Claudel et Honegger (Jeanne au bûcher, 1935). La fortune cinématographique de Jeanne n'est pas moins éloquente. De la Jeanne d'Arc de Méliès (1900) à Jeanne la Pucelle de Rivette (1994), le siècle tout entier aura été scandé par des visages qui ajoutent au mythe originel leur propre potentiel mythique : la Falconetti de Dreyer (la Passion de Jeanne d'Arc, 1928) et l'Ingrid Bergman de Rossellini (Jeanne au bûcher, 1954) comptent sans doute parmi les plus bouleversants.

Source d'inspiration artistique, Jeanne d'Arc est également objet de luttes idéologiques où se dévoilent les rapports tourmentés que l'identité française entretient avec elle-même. Le XIXe siècle, qui la réhabilite et la glorifie, marque à la fois les débuts d'une approche rigoureuse et le triomphe des appropriations mythologiques. Un jeune chartiste, Jules Quicherat, consacre dix années de sa vie (de 1840 à 1849) à l'édition des documents relatifs aux procès de condamnation et de réhabilitation. Les conditions sont enfin réunies pour une étude critique des sources, mais les passions s'empressent d'annexer Jeanne à une cause ou à une idéologie. Au fond, le débat, qui se prolonge jusqu'aux premières décennies du XXe siècle, consiste en une de ces querelles de propriété dont la tradition française est si friande : à qui appartient légitimement Jeanne d'Arc ? Au patriotisme républicain, dont elle anticipe héroïquement les traits essentiels, ou bien au catholicisme, qui peut arguer de sa mission divine et de la sainteté de ses vertus ? À la première tendance, Michelet offre son expression la plus lyrique et la plus prestigieuse. Étape fondamentale dans l'édification du mythe patriotique, le cinquième volume de son Histoire de France (1841) fait de Jeanne le catalyseur d'une communauté nationale encore indécise : « Elle aima tant la France ! Et la France touchée se mit à s'aimer elle-même. » Sans négliger la vocation surnaturelle du personnage, Michelet marginalise cette dimension : l'épopée de la patrie et du peuple tend à occulter le rôle de la transcendance divine. De leur côté, les thuriféraires catholiques de Jeanne n'entendent pas qu'on transforme l'héroïne en « sainte laïque ». Multipliant tout au long du XIXe siècle les initiatives, cérémonies et commémorations, ils verront leurs efforts couronnés, au siècle suivant, par la canonisation du 16 mai 1920. Signe de la lutte que se livrent les deux courants, il est décidé, quelques semaines après la canonisation, que le 8 mai « la République française célébrera annuellement la fête de Jeanne d'Arc, fête du patriotisme ».

À mesure que s'atténuent les crispations catholiques et anticléricales, la mémoire de Jeanne d'Arc est accaparée par la droite nationaliste. Incarnation de l'« essence française », la Pucelle devient, entre les deux guerres, l'instrument de dénonciation de l'« invasion juive », de la « finance anglo-saxonne » et du « matérialisme décadent » ; par son bon sens intransigeant et son enracinement terrien, elle est l'exacte antithèse d'une modernité supposée « dissolvante ». Cette annexion agressive, de Charles Maurras au Front national de Jean-Marie Le Pen, explique sans doute que le personnage ait aujourd'hui perdu de son aura dans la vie publique. En outre, l'Église catholique s'est faite plus discrète à son sujet, et les incertitudes actuelles du patriotisme républicain rendent problématique l'usage des gloires nationales. Éclipse ou rayonnement, le statut de Jeanne dans la conscience collective est toujours riche d'enseignements : rares sont les personnages de l'histoire de France qui auront à ce point focalisé les passions idéologiques, et donné une telle lisibilité aux conflits qui structurent notre identité.

Jean sans Peur,

duc de Bourgogne (Dijon 1371 - Montereau 1419).

Fils aîné du duc de Bourgogne Philippe le Hardi et de Marguerite de Flandre, Jean est d'abord comte de Nevers. Il s'engage aux côtés de Sigismond de Luxembourg, roi de Hongrie, dans la croisade contre le sultan Bajazet. Fait prisonnier à la bataille de Nicopolis (1396), il ne revient en France qu'en 1398, avec la réputation et le surnom de « sans peur ». C'est un homme mûr, au caractère énergique et cassant, qui succède à Philippe le Hardi, mort le 27 avril 1404. Ses deux principales préoccupations seront la construction de l'État bourguignon et la lutte pour le pouvoir dans le royaume de France.