Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Louis IX (suite)

Louis est libéré le 6 mai suivant, moyennant la restitution de Damiette au sultan, tandis que ses compagnons le seront en contrepartie d'une forte rançon. Mais les vainqueurs ne tiennent pas leurs engagements, et le roi doit renoncer à rentrer en France pour ne pas laisser ses hommes prisonniers. Ainsi est-il amené à séjourner quatre ans en Terre sainte, s'employant à faire renforcer les défenses des places fortes tenues par les chrétiens, et à mener avec les princes musulmans un jeu diplomatique qui lui permet d'obtenir la libération des captifs et la conclusion d'une trêve. Le 25 avril 1254, il peut repartir pour la France, où Blanche de Castille, à qui il a confié la régence, est parvenue à arrêter le mouvement insurrectionnel des pastoureaux : ces bandes de paysans, qui s'étaient rassemblées avec l'intention de délivrer le roi, avaient fini en effet par menacer la sécurité publique par leurs pillages et exactions.

Le roi a ainsi concilié son devoir envers les autres croisés et les chrétiens d'Orient, et sa dévotion pour la Terre sainte, en laquelle il voit, tout comme ses contemporains, le mémorial de la Passion du Christ. Il ne s'en désintéressera plus, lui fournissant des secours en hommes et en argent.

La réforme du royaume

Selon Jean de Joinville, le roi aurait été impressionné par la prédication du franciscain Hugues de Barjols, rencontré à Hyères au retour d'Orient, qui « enseigna au roi en son sermon comment il se devait conduire au gré de son peuple ». Mais il est probable que sa décision d'œuvrer à la réforme du royaume est surtout la conséquence des enquêtes menées avant 1247.

L'objet de l'ordonnance de décembre 1254 est d'assurer aux sujets une justice impartiale en interdisant aux baillis et sénéchaux de recevoir quelque cadeau que ce soit, directement ou non, de leurs justiciables, et en les soumettant à une enquête à leur sortie de charge, sans préjudice du contrôle des auditeurs des comptes et des enquêteurs royaux. Eux-mêmes doivent veiller à l'incorruptibilité des prévôts et autres officiers subalternes. Très détaillée, l'ordonnance cherche à abolir des pratiques tolérées jusqu'alors. À celle-ci s'en ajoutent d'autres, notamment celle de 1262 qui place l'administration des villes de commune sous le contrôle des officiers du roi, qui doivent vérifier leurs comptes et empêcher que des oligarchies municipales n'exploitent les villes à leur profit. L'envoi d'enquêteurs devient régulier : il s'agit désormais de clercs du roi, qui sont assistés par des dominicains et des franciscains ; leur mission comporte également le maintien des droits du monarque.

Jusqu'alors, la cour royale avait tenu ses assises irrégulièrement, au hasard des déplacements du souverain. Louis IX leur substitue, à partir de 1254, des réunions à date fixe et à Paris, qui prennent le nom de « parlements », et sont destinées à recevoir les appels des sentences des baillis ou des grands féodaux. Ce qui n'empêche pas le roi de juger lui-même des affaires ailleurs qu'en sa cour - sous un chêne à Vincennes, par exemple -, en s'entourant du conseil de ses clercs.

Louis IX s'attaque aussi à l'usure, au blasphème, aux jeux de hasard. Mais il décide également d'abolir la coutume du duel judiciaire, qui permettait à un accusé de prouver la véracité de ses dires en s'exposant à la mort en champ clos. Édictée en 1261, cette ordonnance suscite une vive résistance de la part des barons, surtout lorsque le roi soumet à la procédure d'enquête le sire de Coucy, accusé de meurtre. Dans ce domaine se manifeste l'influence des légistes, formés dans les écoles, dont Louis s'est entouré non sans provoquer le mécontentement d'une grande partie de l'opinion ; celle-ci reste en effet attachée à la notion de droit fondé sur la présomption de loyauté. Le roi se fait ainsi l'artisan de l'introduction de nouvelles formes juridiques.

Le roi conciliateur et arbitre

L'autorité morale de Louis IX se manifeste par le grand nombre d'arbitrages qui lui sont demandés, y compris hors de son royaume. La succession de la comtesse Jeanne de Flandre, disputée entre les Avesnes et les Dampierre, issus des deux mariages de sa sœur Marguerite, amène le roi à rendre deux arrêts, en 1246 et en 1256 ; déboutant son frère Charles Ier d'Anjou, qui s'était fait céder le Hainaut, il attribue ce comté aux Avesnes, et la Flandre aux Dampierre. Il arbitre également les différends qui opposent les comtes de Champagne et de Bretagne, le comte Jean de Chalon et son fils Hugues, les bourgeois de Besançon et leur archevêque, ceux de Lyon et leurs chanoines, Charles d'Anjou et la comtesse de Provence. Il parvient à mettre un terme à la difficile affaire de Ligny par laquelle s'affrontaient les comtes de Bar, de Luxembourg et de Champagne. Mais, invité à arbitrer le conflit entre Henri III d'Angleterre et ses barons conduits par Simon de Montfort, il se refuse à entériner l'atteinte au pouvoir royal que constituent à ses yeux les provisions d'Oxford. Cette tentative d'arbitrage débouche sur un échec (1264).

Lui-même essaie de mettre fin aux querelles qui opposent la France à l'Aragon et à l'Angleterre. Le roi d'Aragon accepte de renoncer à ses droits prétendus dans le midi de la France, en échange de l'abolition de la suzeraineté française sur la Catalogne. Par le traité de Paris (1259), Henri III d'Angleterre renonce à ses prétentions sur la Normandie, l'Anjou et le Poitou, et accepte, moyennant des compensations territoriales et financières, de faire hommage au roi pour la Guyenne. Louis pense ainsi avoir rétabli la concorde entre les deux dynasties, qui étaient en état de guerre depuis 1204.

La consolidation de l'autorité royale

L'humilité personnelle dont fait preuve le roi ne l'empêche pas de maintenir le prestige d'une couronne dont la dignité est rehaussée par son élection divine. Il ne néglige pas l'éclat des fêtes, et rappelle vigoureusement à Frédéric II le respect dû à la royauté française, lors de l'arrestation de prélats français se rendant à un concile.

Louis a évité de recourir aux mesures de rigueur utilisées par ses prédécesseurs lorsqu'il a mis au pas l'aristocratie féodale, au début de son règne. Il a voulu réaliser, semble-t-il, un équilibre entre l'autorité royale et les droits des grands barons, en faisant d'eux les auxiliaires de son gouvernement, notamment en matière de justice. En prenant l'habitude de fréquenter la cour, en siégeant au Conseil et au Parlement, les barons sont impliqués dans l'exercice du pouvoir royal. Ce n'est pourtant pas parmi eux que le roi a cherché ses collaborateurs les plus proches, à la notable exception de Simon de Nesle : en règle générale, ce sont des chevaliers de moindre rang, petits châtelains, tel Pierre de Nemours-Villebéon, ainsi que des prélats souvent issus du même milieu, voire de plus modeste extraction.