Commune. (suite)
Le décalage chronologique entre Paris et la province
L'historiographie a longtemps considéré les Communes de province comme de pâles reflets de la Commune parisienne. Sans doute parce qu'elles ont été éphémères (du 23 au 25 mars) et circonscrites à quelques villes du Midi et du Centre. L'ordre est en effet rapidement rétabli à Lyon, plus difficilement à Marseille, où la répression, le 4 avril, fait 150 victimes. Les gardes nationaux provinciaux demeurent majoritairement fidèles au gouvernement, et la troupe se montre disciplinée. Paris est donc rapidement isolé. Pourtant, la province a été, la première, le théâtre de mouvements insurrectionnels. Le 4 septembre 1870, c'est Lyon, bien avant la capitale, qui proclame la République et connaît une fugitive Commune gouvernant la ville souverainement, puis partageant, non sans difficultés, le pouvoir avec le préfet gambettiste. Un second accès de fièvre se produit le 28 septembre, avec une tentative de coup de force des partisans de Bakounine. À Marseille, le conseil municipal, élu en août 1870, et un comité de salut public se partagent le pouvoir, avec la bénédiction du commissaire du gouvernement Esquiros, qui prend ensuite la direction d'une ligue du Midi, implantée dans quatorze départements. Cette ligue, dotée d'un programme radical, exerce un contrôle populaire sur les administrations régulières. Gambetta parvient ensuite, au prix d'une répression brutale, à stopper un mouvement perçu comme régionaliste, qui heurtait son jacobinisme. Lyon, Marseille et quelques autres villes connaissent encore des troubles à la fin du mois d'octobre 1870, à l'annonce de la capitulation de Metz. Le mouvement retombe ensuite. Lorsque éclate la Commune de Paris, l'élan révolutionnaire de la province est cassé. Les équipes révolutionnaires sont usées, et de nombreux militants ont gagné la capitale. L'armistice a dispersé les soldats. Paris s'est révolté trop tard. Les ultimes tentatives initiées par la Commune de Paris pour s'opposer aux élections municipales du 30 avril en province échouent.
Commune libertaire ou Commune jacobine ?
L'historiographie, influencée par la querelle relative à l'héritage de la Commune entre marxistes et anarchistes, a longtemps opposé, au sein de la Commune, les partisans d'une dictature jacobine version 1793 - et les fédéralistes, disciples de Proudhon et membres de l'Internationale, militant pour une Commune autonome délivrée des entraves étatiques. Les premiers, majoritaires au sein du conseil général de la Commune, auraient fait prévaloir leur politique après quelques concessions idéologiques aux thèses de leurs adversaires. Les analyses contemporaines tendent à atténuer ce clivage, d'autant que sont également redécouvertes les aspirations décentralisatrices des révolutionnaires de l'an II. Le fédéralisme, renforcé par une réaction au centralisme impérial, est en effet défendu par tous les révolutionnaires - même blanquistes - dès septembre 1870. On comprend mieux le vote unanime en faveur de la « Déclaration au peuple » français du 19 avril, pourtant inspirée des idées de Proudhon. Le fédéralisme inquiète cependant les républicains radicaux au printemps 1871, qui craignent les excès d'une décentralisation jugée dangereuse pour l'unité du pays et se contentent de défendre de simples libertés municipales. En outre, alors que la menace versaillaise se fait plus pressante, la Commune de Paris connaît une dérive jacobine à partir du mois de mai, ainsi qu'en témoigne la nomination d'un comité de salut public. Aussi, la minorité proudhoniste ou socialiste quitte-t-elle le conseil général. Si elle n'est pas hostile à un renforcement de l'exécutif communal, elle refuse d'accorder les pleins pouvoirs à ce comité de salut public. Deux conceptions, contradictoires, de la Commune se seraient ainsi succédé, en fonction de l'évolution de la conjoncture politique et militaire.
L'impossible conciliation et le tiers parti
À la différence des historiens de la IIIe République, l'historiographie plus contemporaine a occulté les efforts des conciliateurs, considérés comme des auxiliaires déguisés de Thiers. Or les efforts pour prévenir un bain de sang, pour inefficaces qu'ils aient été, n'en ont pas moins jalonné l'histoire de la Commune. Les maires et les adjoints d'arrondissement, qui jouissent d'une certaine autorité auprès de la petite bourgeoisie parisienne, refusent de se rallier tant au camp versaillais qu'à la Commune. Ils négocient avec le comité central de la Garde nationale un projet d'accord faisant droit aux revendications essentielles du peuple de Paris. Mais l'Assemblée nationale, passé le moment de surprise où elle est prête à quelques concessions, se ressaisit et refuse tout compromis. Le comité central obtient l'aval des maires, exaspérés par cette intransigeance, pour organiser les élections au conseil général de la Commune le 26 mars, et le parti des maires obtient en moyenne 17 % des suffrages, provenant surtout des quartiers du centre-ville. Leurs élus démissionnent après que la Commune eut fait acte de souveraineté. Mais ils n'abandonnent pas tout espoir de conciliation, créant, le 4 avril, la Ligue républicaine des droits de Paris. L'Union du commerce et de l'industrie tente également une médiation. Le tiers parti apparaît mieux implanté en province, où il a les coudées plus franches. Sous les auspices de l'Alliance républicaine des départements, des contacts s'établissent d'une ville à l'autre, et des délégations prennent contact avec Thiers dans la seconde quinzaine du mois d'avril afin d'obtenir le retour de la légalité par des concessions réciproques. Le chef du gouvernement fait quelques ouvertures : il confirme que le régime républicain sera maintenu, que l'Assemblée n'a pas de mandat constituant, et assure que la répression sera limitée aux assassins des généraux. Mais il refuse toute liberté municipale spécifique pour Paris et exige une capitulation sans conditions. Assuré que le temps travaille pour lui, il doit toutefois tenir compte de l'humeur de l'Assemblée, hostile à tout compromis et impatiente d'en finir. Il interdit ainsi les congrès des villes républicaines et patriotes prévus à Lyon et à Bordeaux les 14 et 15 mai. Les radicaux bravent l'interdiction à Lyon, où se réunissent des délégués de seize départements qui demandent en vain la dissolution de l'Assemblée et de la Commune. Les contacts entre Thiers et des républicains radicaux sont à l'origine de la thèse selon laquelle ces derniers se seraient ralliés au gouvernement en échange du maintien de la République. En réalité, les efforts de conciliation se sont maintenus jusqu'à la fin, témoignant de l'attachement du radicalisme provincial aux principes républicains et à la paix civile.