Maurras (Charles), (suite)
Désintéressé, fougueux, convaincu de la force implacable de sa logique, Maurras érige sa pensée en système. Les disciples qui n'adoptent pas le point de vue du maître sont rejetés. À deux reprises, dans les années 1910, il réussit à neutraliser ses adversaires : en 1911, la vieille garde royaliste, qui tente de discréditer ses méthodes auprès du duc d'Orléans ; en 1914, les catholiques démocrates, qui essaient d'obtenir du pape Pie X la condamnation publique de quelques-unes des œuvres antichrétiennes de sa jeunesse (le Chemin de Paradis, 1895 ; Trois idées politiques, 1898 ; Anthinéa, 1901).
Au cours de la Première Guerre mondiale, Maurras soutient sans faille la cause de l'« union sacrée ». Il en retire un prestige qui lui vaut même l'estime des républicains patriotes, tel le partisan de Clemenceau Émile Buré. Poincaré lui-même le lit avec intérêt.
De l'« antigermanisme » au pétainisme.
• C'est avec le même acharnement qu'il poursuit son combat dans l'entre-deux-guerres, sans renouveau, ni des idées ni des méthodes. L'« antigermanisme » qu'il professe demeure immuable, tout comme l'hostilité à la République. La condamnation de l'Action française par le pape Pie XI, à la fin de l'année 1926, brise le rêve d'une alliance durable avec le catholicisme. La crise des années trente marque un déclin : de nouveaux courants de la droite non conformiste, composés parfois d'ex-maurrassiens, mettent en cause le principat intellectuel de Maurras. Ce dernier les comprend mal et raille leur volonté d'ébranler les bases du système républicain : « Mes amis, leur déclare-t-il, le 6 février 1934, ce n'est pas encore aujourd'hui que vous abattrez la République. » À partir de 1935, et plus encore de 1936, le projet de constitution d'une Union latine s'appuyant sur l'Italie de Mussolini et l'Espagne franquiste engage la ligue d'Action française dans un rapprochement périlleux avec les dictatures. Si Maurras demeure « anti-allemand » après la défaite de 1940, il entend conjuguer, au nom de la « seule France », obédience au régime de Vichy (salué comme l'État enfin restauré) et hostilité à l'Angleterre.
En janvier 1945, Maurras, francisque à la boutonnière, est condamné par la cour de justice du Rhône à la réclusion à perpétuité et à la dégradation nationale. Il demeure convaincu d'avoir été lucide et dénonce un verdict qu'il juge indigne. Après plusieurs années de détention à Clairvaux, il est gracié en 1952 et, en raison de son état de santé, transféré dans une clinique de Tours. Il meurt peu après, le 16 novembre 1952.
L'influence qu'il a exercée jusqu'au bout sur nombre de disciples ne tient-elle pas au moins autant à la rigueur logique de son système qu'à la passion stoïque avec laquelle il a engagé sa vie au service d'un ordre du monde qu'il affirmait inscrit dans la nature des choses ? Cette humilité a son envers : la certitude d'appartenir à l'élite de « ceux qui savent ».